Au Val d'Yerres, dans la banlieue sud de Paris, l'architecte Jacques Bardet a construit, il y a quelques années, pour la société immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC), de petits immeubles où chaque logement disposait d'une grande terrasse ou d'un jardin. Par une imbrication astucieuse des volumes, chaque famille habite en quelque sorte une maison indépendante, superposée aux autres. L'idée a été exploitée. Depuis, les architectes Michel Andrault et Pierre Parat ont mis au point des pyramides basses (Villepinte, Épernay, Marne-la-Vallée) de logements superposés disposant chacun d'un accès indépendant. D'autres, comme ARC Architecture (J.-C. Bernard, Dupuis, Mitrofanof), ont développé cette idée en proposant ce qu'on a appelé l'habitat « intermédiaire », à mi-chemin entre maison et immeuble.

Mais c'est seulement lors du concours organisé par la ville nouvelle d'Evry, en 1971-1972, pour un quartier de 7 000 logements que cette mode des pyramides proliférantes s'est affirmée vraiment. Les lauréats de ce concours ont proposé un ensemble d'immeubles de hauteurs variables reliés entre eux, et tous construits sur une même trame, comme disent les architectes. Ce qui signifie que toutes les surfaces des appartements sont des multiples d'un carré de même dimension. Ce système, d'une part, permet de simplifier la construction, puisqu'on utilise des panneaux préfabriqués de dimensions très standardisées, et, d'autre part, autorise une infinité d'assemblages très variés.

Le parti choisi à Evry par les architectes était d'occuper le terrain, par une suite continue de bâtiments ; en dégageant de vastes cours plantées et des passages, au lieu de « poser » des immeubles éloignés les uns des autres comme dans les grands ensembles des années 50-60.

Aujourd'hui, le premier quartier d'Evry sort de terre : quand on approche, l'horizon est occupé par une série de bâtiments de toutes hauteurs, coloriés de teintes soutenues (vieux rose, vert pistache...). L'ensemble donne le sentiment d'une densité forte, mais le cœur des villes n'est-il pas ainsi fait ? Il est toutefois quelque peu inquiétant de penser que 7 000 logements, tout un quartier (presque une ville avec 25 000 habitants), doivent être construits suivant ce modèle...

De la volonté de briser les lignes, de rompre l'uniformité, est peut-être né une sorte de néo-conformisme : malgré la diversité des volumes et des assemblages, le système des « nappes de pyramides proliférantes » ne risque-t-il pas d'être une nouvelle forme de monotonie, aussi oppressante que les grands ensembles des années 50 l'étaient par leur vide ?

Nouveau formalisme

Certains architectes l'ont pressenti. Le chantier d'Evry n'était pas encore ouvert que déjà une nouvelle tendance s'affirmait. Tandis que les uns emboîtaient vaillamment le pas aux adeptes du proliférant, d'autres inventaient une autre école, celle d'une rigueur nouvelle, appuyée sur des recherches formelles et des références explicites à la ville ancienne et à l'histoire de l'architecture.

Ce fut très clair lors de la consultation lancée en novembre 1973 par la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, pour la construction de 3 000 logements sur les coteaux de Maubuée.

C'était un concours en deux temps : au premier tour, les architectes étaient seuls, sans les entreprises. Une bonne moitié des projets présentés entrait dans la famille des proliférants qui l'avait emporté à Evry. Mais quelques propositions témoignaient d'une recherche nouvelle. Des rues rectilignes, ordonnancées, bordées d'immeubles bas à l'architecture soignée dans les détails (forme des fenêtres, arcades, bow-windows), façades plus nobles et plus travaillées sur la rue de devant, plus utilitaires sur la rue arrière, etc.

Au lieu d'imaginer seulement l'intérieur des immeubles, l'aménagement des logements, les architectes pensent à ce qui les entoure. Au lieu de juxtaposer des appartements, des cellules comme ils disent dans leur jargon, ils dessinent un véritable quartier avec des rues, des places. Ce nouveau formalisme se distingue aussi (c'est un signe) par la présentation de perspectives très soignées, de dessins raffinés qui semblent renier l'architecture technico-industrielle.