Le premier annonce un « socialisme aux couleurs de la France » et rejette la « dictature du prolétariat ». Le second demande l'épanouissement de toutes les libertés dans un système socialiste « pluraliste et démocratique ». Le troisième, tout en évoquant « l'état primitif » du socialisme en URSS, déclare qu'en Occident « il ne peut y avoir de socialisme qu'en se fondant sur la majorité » et qu'il faut être « prêt à abandonner le pouvoir si cette majorité cesse d'exister ». Autant d'affirmations qui valent à leurs auteurs d'être accusés de « débiter le marxisme-léninisme en tranches nationales » et de « porter ainsi atteinte à la classe ouvrière ».

Concessions

Comment, dans ces conditions, réunir une conférence des PC européens, annoncée dès octobre 1974 ? Leonid Brejnev, soucieux de tenir ce sommet coûte que coûte, fait des concessions, biffant ou modifiant certains passages du document final prévu.

Et, comme pour donner plus de poids à ce recul stratégique, on peut lire début mai dans Novoie Vremia ce propos de Vadim Zagladine, membre de la section internationale du Comité central, qui corrige les accusations portées lors du Congrès : « Il ne faut pas dramatiser les contradictions apparentes qui existent entre la lutte des pays socialistes et celle que mènent les PC occidentaux contre les gouvernements bourgeois en place. Il s'agit du même combat. »

« Même combat » peut-être, mais à Berlin-Est on entend les leaders autonomistes Santiago Carrillo, Enrico Berlinguer, Georges Marchais, le maréchal Tito, Nicolas Ceaucescu dénoncer de nouveau la prééminence de l'Union soviétique et réaffirmer leur droit à l'indépendance. Ce qu'entérinera d'ailleurs en partie le document final, qui reconnaît à chaque PC le droit de choisir des voies différentes dans la lutte pour le socialisme. Concession d'importance.

Un langage tout à fait différent est employé à l'égard de la Chine. Si le no 1 soviétique affirme au Congrès : « Nous sommes prêts à normaliser nos relations avec elle sur la base des principes de la coexistence pacifique », il n'en déclare pas moins : « Nous continuerons de mener une luttre doctrinale intransigeante contre le maoïsme. » En écho, l'officiel Sovietskaïa Rossia écrit : « La Chine, qui mène une politique de duperie et d'hypocrisie, est un pays dangereux pour tout pays, quel que'soit son régime social. »

Hormis un triomphe indéniable — Helsinki — qui a permis à Leonid Brejnev de consacrer à son avantage la division de l'Europe telle qu'elle résulte de Yalta, la politique étrangère de l'URSS ces douze derniers mois n'a pas atteint les objectifs officiels qu'elle s'était fixés : détente internationale accrue, limitation et réduction des armements, coopération économique amplifiée avec les pays capitalistes. La pax sovietica ne régit pas le monde. Par contre la stratégie plus officieuse qu'elle a déployée vers l'Afrique, le Proche-Orient, la Méditerranée et certains pays de l'Asie du Sud-Est semble avoir porté ses fruits.

Avec les USA les rapports restent froids, parfois tendus. À peine l'acte final d'Helsinki a-t-il été signé que les deux grands s'affrontent à propos du Portugal, Ford mettant en garde Moscou contre la tentation de « pêcher en eau trouble ». Même tension au sujet de l'Angola et de l'aide massive apportée au MPLA procommuniste. Le voyage de Kissinger à Moscou en janvier 1976 ne dissipera pas les nuages.

Salt

Autre point de friction : la deuxième négociation à Genève sur la limitation des armements stratégiques (SALT-II), qui s'enlise au fil des mois. Les uns et les autres s'accusent mutuellement et périodiquement de violer le premier accord (SALT-I), et l'entente n'a pu encore être faite pour signer le second. Résultat : la visite officielle que Brejnev devait effectuer dès juin 1975 à Washington n'a toujours pas eu lieu douze mois après.

Mais la véritable explication de ce retard est peut-être ailleurs. Tout porte à croire que la proximité des élections présidentielles américaines incite le Kremlin à se confiner dans une position attentiste vis-à-vis de la Maison-Blanche. On relève le virage à droite du président des États-Unis, mais on le met officieusement sur le compte de la stratégie électorale, car à tout prendre Ford semble rester pour l'Union soviétique le moins mauvais des candidats en lice.