On en est donc réduit, comme au début des précédentes législatures, à comparer minutieusement le nombre des voix obtenues par chacun des conseillers fédéraux reconduits dans leurs fonctions. Willi Ritschard, chef du département des Transports, des communications et de l'énergie, est le mieux élu. Ce succès personnel revêt, d'ailleurs, de l'importance.

Le haut magistrat soleurois, ancien monteur en chauffage central, n'a pas seulement séduit les Chambres et le peuple par la franchise, l'humour et la simplicité de ses discours (un éditeur bernois publie même un recueil de ses bons mots). Il a pris des risques en refusant de chasser de Kaiseraugst, où devait s'édifier une centrale nucléaire, les manifestants qui occupaient et bloquaient le chantier. Davantage : il a promis des « négociations » avec eux. Une délégation du Conseil fédéral et de hauts fonctionnaires les ont rencontrés plusieurs fois. De ces entretiens, à vrai dire, aucune lumière décisive n'est sortie, et nul n'évalue encore très bien, en Suisse non plus que dans le monde entier, les avantages et les risques de la fission de l'atome.

Mais les travaux, depuis lors, n'ont jamais repris à Kaiseraugst, et si une autre autorisation de construire une centrale (à Leibstadt) a été cependant accordée, la volonté du Conseil fédéral, ou tout au moins de W. Ritschard, ne peut plus faire de doute : jusqu'à plus ample information de la part des experts, le gouvernement ne donnera pas aux producteurs d'électricité la liberté (qu'ils espéraient) d'installer une grande quantité de réacteurs sur l'ensemble du territoire. Et les Chambres ont implicitement approuvé cette prudence.

Incidents diplomatiques

Le chef du département des Finances, Georges-André Chevallaz, quoique très confortablement réélu, n'a pas obtenu, lui, le score de W. Ritschard. Il détient même le record des bulletins épars, ce qui (son collègue Pierre Graber, chef du département politique, n'étant guère mieux placé) donne lieu dans les journaux à des commentaires inquiets : la majorité suisse-alémanique des Chambres veut-elle vraiment traiter de haut les représentants de la minorité romande ?

Mais il y a d'autres causes à cette petite humeur, et qu'il faut, pour établir le bilan de douze mois, raconter aussi. P. Graber, dont un certain nombre de députés n'aiment pas l'attitude parfois cassante et les répliques souvent mordantes, inquiète l'opinion alémanique par ses fréquents voyages à l'étranger. Un ministre des affaires... étrangères qui aurait peur de l'avion ferait dira-t-on, bizarrement son métier. Certes. Mais il fut une époque, encore assez proche, où les conseillers fédéraux ne sortaient pas. Surtout pour aller en Chine. En Israël. Et dans les pays arabes.

Et puis, en septembre 1975, le 29, la Suisse a fait un geste diplomatique absolument inhabituel, et qui a déclenché dans tout le pays une assez vive controverse. Le gouvernement franquiste avait exécuté 5 terroristes. Manifestations dans toute l'Europe et dans plusieurs villes suisses. Neuf pays rappellent leur ambassadeur. Deux jours plus tard, la Suisse les imite. Or, d'aucuns y voient une inadmissible entorse à la neutralité et au principe, un peu pharisien mais très fréquemment affirmé, selon lequel la Suisse « n'a pas de relations avec des régimes, mais avec des États ». De plus, « si cinq exécutions (sans doute odieuses) à Madrid justifient une telle mesure, pourquoi donc ne l'a-t-on jamais prise à rencontre de Moscou, de Santiago, de Pretoria ? » demandent les mécontents.

Curieusement, une autre histoire d'ambassadeurs mobilisera, très exactement un mois plus tard, un nombre égal de protestataires, mais, cette fois, dans les rangs de la gauche plutôt que de la droite. Le 29 octobre, Washington annonce la nomination de Nathaniel Davis, ancien secrétaire d'État adjoint pour les Affaires africaines, au poste de Berne. Or, N. Davis fut à Santiago pendant les sombres heures où le régime Allende faisait naufrage. Sombre agent de l'impérialisme américain ? On dit, en tout état de cause, que les pays d'Afrique n'ont pas voulu de ce diplomate louche pour interlocuteur. Berne serait donc un (maigre) prix de consolation. Ce qui prendrait, vu de Suisse, l'allure d'une véritable humiliation. Le Conseil fédéral agrée sa nomination. Mais un doute subsiste.

Conjoncture

G.-A. Chevallaz n'a certes pas une tâche plus facile que P. Graber. Il est même, dans la bataille qu'il mène conjointement avec Ernst Brugger, chef du département de l'Économie publique, pour maîtriser les difficultés conjoncturelles et financières, l'homme que le Suisse moyen admire parfois, mais maudit souvent. L'homme qui « s'assied sur la caisse » !