Étonnées, choquées, la presse et l'opinion n'en acceptent pas moins avec un flegme très britannique cette abdication. Sans doute certains reprochent-ils à Harold Wilson d'abandonner l'attelage au milieu du gué, de partir au moment où la livre subit de nouveau les assauts de la spéculation internationale. Nul ne songe à mettre en doute la sincérité de ses raisons (ou à en chercher de moins avouables) et moins encore à discuter la sagesse du principe de la retraite à soixante ans pour un homme d'État. L'Angleterre décadente que fustigera quelques jours plus tard Soljenitsyne à la BBC donnerait-elle encore des leçons de maturité politique au monde ? Le calme dans lequel va s'opérer la succession apporte en tout cas une justification à la sérénité du démissionnaire.

Il n'est pas question de crise gouvernementale, ni d'élections. Ce sont les 317 députés travaillistes (et non, comme on pourrait le penser, le comité directeur ou le congrès du parti) qui doivent désigner par un vote à la majorité absolue leur leader. Celui-ci, étant donné que les travaillistes détiennent la majorité aux Communes, est automatiquement désigné par la reine comme Premier ministre.

Relève

Six candidats entrent en compétition : James Callaghan, ministre des Affaires étrangères, modéré, qui part favori, Michael Foot, ministre de l'Emploi et leader de la gauche travailliste, Roy Jenkins, ministre de l'Intérieur, représentant l'aile droite du parti, Denis Healey, chancelier de l'Échiquier, rival de James Callaghan parmi les centristes, Anthony Wedgwood Benn, ministre de l'Énergie, l'étoile de la jeune génération radicale, et Anthony Crosland, ministre de l'Environnement, le penseur du socialisme à l'anglaise. Les trois derniers sont éliminés dès le premier tour de scrutin qui porte Michael Foot en tête (90 voix), suivi de près par James Callaghan (84), qui peut dès lors compter sur les reports des voix de la droite. Il faudra néanmoins trois tours de scrutin (à cause du maintien de Denis Healey) et trois semaines pour que James Callaghan soit, le 5 avril 1976, proclamé statutairement vainqueur de la compétition. Il obtiendra 176 voix contre 137 à son rival Michael Foot, à qui sa performance (compte tenu du fait que la gauche ne représente en général que 80 voix) vaudra le poste de vice-Premier ministre et de leader des Communes.

La première tâche de James Callaghan est, en effet, de remanier le gouvernement légué par Harold Wilson ; trois changements importants au sein du cabinet : la promotion de Michael Foot, qui consacre le poids acquis par la gauche ; l'arrivée aux Affaires étrangères, l'ancien poste de James Callaghan, d'un néophyte en la matière, Anthony Crosland (il semble que la candidature de Roy Jenkins, l'européen, ait été écartée sur un veto de Michael Foot) ; les nouvelles attributions de Shirley Williams, ministre de la Consommation, qui ajoute à ce portefeuille celui de Trésorier-payeur-général. Quatre départs, dont ceux de Barbara Castle et d'Edward Short. Trois grands ministères gardent leur titulaire : les Finances (Denis Healey), l'Intérieur (Roy Jenkins), l'Irlande (Merlyn Rees).

James Callaghan

Contradiction qui n'a pas semblé gêner ses électeurs : James Callaghan succède à 64 ans à Harold Wilson qui vient de donner l'exemple de la retraite à 60 ans. Mais Jim, Sunny Jim, comme disent certains, était sans doute lè seul à pouvoir assumer, en rassurant, la succession de Harold Wilson en cette période de crise. Il est l'image de la continuité, du calme, d'un travaillisme sans aventure, mais fidèle à lui-même. Sa carrière est une patiente expérience sans à-coups. Déjà à la mort de Gaitskell, en 1963, il était le candidat de compromis à la direction du parti entre Harold Wilson, l'intellectuel, et George Brown, l'homme de la droite. Il appartient à la middle class par sa naissance comme par son style de vie qu'il n'a guère modifié au cours de son ascension. Son originalité est d'être un autodidacte. Il a quitté l'école à 17 ans et a tout appris en militant dans un syndicat de fonctionnaires.

Bilan

Mais l'héritage, pour James Callaghan, ce n'est pas seulement une équipe, c'est un bilan qui, en dépit de l'autosatisfaction du testament politique de Harold Wilson, reste terriblement lourd. Un acquis cependant au milieu des chiffres catastrophiques (le cours de la livre, 35 % depuis 1971, 8 % en un mois ; l'inflation, 23,4 % en janvier ; les chômeurs, 1 226 000 à Noël, soit 5,3 % de la population active ; la production industrielle, 95,7 % par rapport à l'indice 100 en 1970), un acquis qui est un atout considérable dans la lutte anti-inflationniste du gouvernement : l'accord avec les syndicats.