Ainsi, un an jour pour jour après la grave maladie qui avait contraint le vieux dictateur à transmettre provisoirement ses pouvoirs au prince d'Espagne, le ministre de l'Information, Léon Herrera, pouvait déclarer avec satisfaction : « Autant que je sache, il ne se passera rien d'important cet été. » Rien n'était changé.

Voire. Sous l'euphorie officielle de ce règne qui n'en finit plus, de lourdes menaces s'accumulent.

Si, au cours de la décade 1964-1974, le PNB avait connu une croissance moyenne annuelle de 6,3 % (4,5 en 1974). les estimations pour 1975 sont inférieures à 1 %. Hausse du coût de la vie, inflation, chômage, le miracle économique qui a magnifié les dernières années du régime est bien terminé.

On enregistre une angoissante extension du terrorisme. Du début de l'année à la mi-août, 11 policiers sont abattus par des extrémistes du FRAP (Front révolutionnaire anti-fasciste et politique) ou basques de l'ETA. Franco qualifie de « chiens qui aboient » ceux qui réclament la fin de la répression.

Si les Espagnols sont décidés à abandonner le Sahara, Marocains et Mauritaniens, qui ont concocté entre eux le partage du territoire, se heurtent soudain aux revendications d'un Front Polisario hargneusement soutenu par Alger. L'ombre de la tragédie angolaise plane, le prestige de l'Espagne est en jeu. L'armée grogne.

Précisément l'armée vient de révéler de dangereuses fissures. Les 29 et 30 juillet, 9 jeunes officiers sont arrêtés. Soupçonnés d'appartenir à une mystérieuse Union militaire démocratique, ils sont inculpés de « conspiration en vue de sédition ». « Depuis la révolution portugaise, commente le chef d'État-major, le général Vallespin, certains éléments rêvent de faire ici un 25 avril. »

Après le démantèlement de la Phalange (par Franco lui-même), devenue une amicale d'anciens combattants, après la contestation de l'Église, le dernier pilier du régime, l'armée, laisse à son tour apparaître un malaise.

Cependant les milieux politiques s'impatientent. Tractations et chamaillerie dans la gauche — Junte démocratique du communiste Santiago Carillo et du monarchiste Calvo Sere et Plate-forme de convergence démocratique, dominée par le socialiste Felipe Gonzalez et le démocrate-chrétien Ruiz Gimenez—, qui ne parvient pas à s'unir, et regroupement de la droite civilisée de personnalités du régime dans la FEDISA (Fédération d'études indépendantes, société anonyme).

Condamnations à mort

Dans cette atmosphère estivale chargée d'étincelles, l'adoption d'un décret-loi antiterroriste, le 22 août 1975, par le Conseil des ministres, fait l'effet d'une bombe. En vertu de ce texte, le pays se trouve placé en état d'exception pour une durée de deux ans ; la peine de mort devient automatique pour les auteurs d'attentat contre un agent de l'État ; la garde à vue est prolongée ; l'habeas corpus suspendu.

Le décret entre immédiatement en application. Le 29 août, 2 membres de l'ETA, accusés d'assassinat de policiers, sont condamnés à mort par le conseil de guerre de Burgos. Le 12 septembre, 3 militants du FRAP sont frappés de la même peine à Madrid. C'est encore le même conseil de guerre de Madrid qui condamne, le 18 septembre, 5 membres du FRAP, et, le 20, à Barcelone cette fois, c'est au tour d'un extrémiste basque. Au total, 11 peines capitales en trois semaines.

Du monde entier parviennent des appels à la grâce ; le pape lui-même intervient à trois reprises auprès de Franco. Le vieux caudillo tient bon et, à l'aube du 27 septembre, 5 des 11 condamnés sont exécutés.

La réaction est immédiate dans les capitales européennes : tandis que cinq pays rappellent leurs ambassadeurs, de véritables émeutes anti-franquistes éclatent, notamment à Paris et à Lisbonne où l'ambassade espagnole est incendiée.

Triomphe

Au lieu de conforter les Espagnols dans leur lutte contre la dictature, cette opprobre universelle va provoquer chez eux un réflexe opposé (et bien castillan) : ils ressentent ces manifestations comme une immixtion inadmissible dans leurs affaires. Le caudillo va utiliser cet état d'esprit pour en tirer un triomphe personnel.