Le jeudi soir, cependant, le praticien s'inquiète des difficultés respiratoires de son patient. Il téléphone au gendre de Franco, le marquis de Villaverde, cardiologue à la mode, qui comprend aussitôt. Dans la nuit, il fait installer au palais du Pardo un matériel clinique complet et mobilise les vingt-trois meilleurs spécialistes d'Espagne.

Précautions qui ne sont pas superflues puisque le lendemain, vendredi 17 octobre, le chef de l'État est frappé d'une angine de poitrine en plein Conseil des ministres. On lui ordonne le repos complet.

Toutefois, le 20, il se propulse jusqu'à son fauteuil pour recevoir, comme chaque lundi, le prince Juan Carlos. Mais, la nuit suivante, il est foudroyé par une crise cardiaque. Affolement. Les 23 médecins, auxquels s'est joint le Pr Barnard, de passage à Madrid, se pressent à son chevet. Quelqu'un veut appeler un prêtre. « N'êtes-vous donc pas capables de me tirer d'affaire tout seuls ? », grommelle, sarcastique, le Caudillo. Au bout d'une heure, le cœur se remet à battre. Sauvé. Mais un œdème s'est déclaré dans les poumons.

Le mardi 21, Arias Navarro est reçu par Franco, installé derrière son bureau, en grand uniforme. Stupéfait, il s'entend interpeller : « Asseyez-vous, mon cher Premier ministre, vous risqueriez de vous fatiguer. » Et Arias ose à peine murmurer du bout des lèvres sa requête : transmettre les pouvoirs à Juan Carlos. La réponse est un « non » catégorique.

Le lendemain, le bulletin de santé informe que l'état de Son Excellence s'est « brusquement détérioré ». En vain, l'entourage de Franco, le bunker, cherche-t-il à accréditer une évolution optimiste de la maladie ; le samedi 25, il reçoit l'extrême-onction, tandis que le cardinal Tarancon, archevêque de Madrid, qui est accouru au Pardo, est éconduit par la famille.

Nouvelle crise dans la nuit de mardi à mercredi 29 : le ventricule droit est à son tour atteint. L'état du malade est « extrêmement grave », disent les médecins. L'archevêque de Saragosse vient étendre sur le lit du Caudillo la mantille de la Vierge du Pilar. Franco pleure.

Le 31 octobre, alors qu'une inflammation du péritoine vient d'être diagnostiquée, Arias Navarro fait jouer l'article 11 de la Constitution prévoyant la désignation, à titre temporaire, du prince Juan Carlos comme chef d'État. Ce que refusait Franco. À partir de ce moment, le vieux lutteur sait qu'il a perdu. Il va s'enfoncer dans la mort : il est douteux qu'il ait conservé dès lors sa lucidité.

Des hémorragies internes se produisent et, dans la nuit du 4 novembre, il subit une première intervention chirurgicale. Une sonde dans l'estomac, il est soutenu par un rein artificiel et reçoit, en perfusion, 7,5 litres de sang en vingt-quatre heures.

Le vendredi 7, on transporte le Caudillo à la clinique La Paz, à Madrid, où il subit l'ablation d'une partie de l'estomac. « Comme c'est dur de mourir », aurait-il soupiré.

Les hémorragies se multiplient ; les 23 médecins font face avec acharnement.

Le vendredi 14, nouvelle intervention chirurgicale en catastrophe. Toujours l'estomac. Écœurée par cette impitoyable charcuterie, la marquise de Villaverde interpelle son mari : « Cela suffit ! »

Le moribond est placé en état d'hibernation le 18. Et c'est le jeudi 20 novembre, à 5 h 25 que les 23 médecins constatent le décès.

L'agonie a duré trente-sept jours.

Pour Juan Carlos, un retour à la démocratie semé d'embûches

L'après-franquisme est installé. Installation précaire que celle du régime de Juan-Carlos Ier dont certains Espagnols ne voudraient retenir que le mot de franquisme, alors que d'autres n'aspirent qu'à un après sans référence et sans restriction. La bataille est engagée et, dans cette bataille, le jeune chef de l'État, à la fois successeur désigné du caudillo et partisan d'une évolution démocratique, dispose d'une très étroite marge de manœuvre pour emporter la victoire.

Fin de règne

Qui aurait pu prévoir de si prodigieux bouleversements lorsque, le 10 juillet 1975, au stade de Madrid, le caudillo visiblement en pleine forme remettait la coupe de football du généralissime au capitaine de l'équipe du Real ?