L'essentiel, cependant, est que la guerre civile libanaise recouvre plusieurs conflits différents qui se superposent, s'entremêlent ou se confondent. Le pays, qui fut autrefois surnommé la Suisse du Proche-Orient, est le théâtre de guerres que se livrent non seulement les Libanais entre eux (la droite contre la gauche), mais aussi des Libanais aux Palestiniens, les Syriens aux Libanais, les Israéliens aux Fedayin, les États conservateurs aux pays progressistes du monde arabe, guerres qui se déroulent sur la toile de fond de la rivalité Est-Ouest. Elles ont toutes comme dénominateur commun le conflit israélo-arabe. L'enjeu n'est pas tant le régime qui finira par s'imposer à Beyrouth, mais le sort de la résistance palestinienne. L'éventuelle accession au pouvoir de Kamal Joumblatt, le chef du front de la gauche, ne changerait pas grand-chose au système économico-social, mais elle consacrerait le triomphe de l'OLP de Yasser Arafat, principal obstacle à un règlement du conflit du Proche-Orient aux yeux des États-Unis, de nombreux pays arabes, d'Israël, etc.

Conservateurs

La guerre civile a commencé le 13 avril 1975 par le massacre de 27 Palestiniens et Libanais qui traversaient en autocar le quartier chrétien d'Ein el-Romaneh, à Beyrouth. Levant l'étendard du nationalisme, d'un Liban libanais, la droite n'a cessé, pour justifier son combat, d'assurer qu'elle n'avait d'autre objectif que de mettre au pas les Palestiniens, accusés « d'abuser de notre hospitalité et de notre démocratie », selon les termes de Pierre Gemayel, le chef suprême des Phalanges.

Allié à l'OLP, par conviction ou par intérêt, le front des partis progressistes, présidé par Joumblatt, se fait le champion de la cause palestinienne et, pour placer le débat sur un autre terrain, qui lui est davantage favorable, présente à la mi-août un programme commun, prévoyant la démocratisation des institutions, la laïcité de l'État par étapes, des réformes économiques et sociales. Bref, tout ce qui est susceptible de susciter la fureur d'une droite particulièrement conservatrice et farouchement attachée au système confessionnel instauré en 1943 par un consensus de notables chrétiens et musulmans.

Cause ou coïncidence, la publication du programme commun de la gauche est suivie de peu par la multiplication des accrochages ; ensuite, vers la mi-septembre, par la reprise des hostilités sur une grande échelle.

Le rapport des forces à l'époque paraît nettement en faveur du camp conservateur. Celui-ci était parvenu à mobiliser la majeure partie des communautés chrétiennes (à l'exception de Raymond Eddé et de ses amis), que le réflexe de la peur, naturel dans toute minorité, contribue à dresser contre la coalition progressiste, qui prétend donner à la majorité musulmane (par le truchement d'élections à la proportionnelle) la prédominance au sein de l'État. Les Phalanges de Pierre Gemayel, le parti national libéral de Camille Chamoun, le front des Défenseurs du Cèdre, diverses armées privées, qu'entretenaient de richissimes notables maronites (catholiques de rite oriental), comptent des dizaines de milliers de miliciens, bien entraînés et encadrés par d'ex-officiers de l'armée libanaise ; ils sont équipés d'un armement sophistiqué. Bénéficiant du soutien de divers États arabes conservateurs, dont certains pratiquent un islam intégriste, les formations chrétiennes paraissent disposer de fonds en quantité inépuisable.

Elles bénéficient encore de la complicité d'une partie de l'armée libanaise et du Deuxième Bureau, animés par des maronites conservateurs, qui leur facilitent, entre autres, le débarquement clandestin de cargaisons d'armement sur des plages désertes du littoral.

Front progressiste

Certes, les organisations progressistes bénéficient, elles aussi, des libéralités d'autres pays arabes, telle la Libye, et puisent dans les arsenaux des Fedayin, qui leur fournissent également des cadres militaires. Mais le front de la gauche, moins homogène que le camp conservateur, moins influent encore dans un pays où domine la petite entreprise, s'était employé tardivement à constituer ses propres milices. Insuffisamment entraînées, celles-ci agissaient le plus souvent en ordre dispersé. Leurs alliés palestiniens, par prudence politique, ont évité, surtout durant le deuxième semestre de 1975, de participer, sur une vaste échelle, aux combats. La droite étant au pouvoir (le gouvernement de Rachid Karamé est constitué exclusivement de conservateurs) et la gauche reléguée à la rue, la défaite des progressistes n'était pas exclue.

Intervention

Cependant, l'entrée en scène de la Syrie, dès le mois de mai 1975, sous la forme d'une médiation, a permis de rétablir le rapport des forces en faveur des progressistes. Le régime baasiste de Damas n'a pas de sympathie particulière pour Kamal Joumblatt et ses amis, encore moins pour ses alliés communistes ; il se méfie encore de Yasser Arafat, le leader de l'OLP dont la politique fait subtilement obstacle à la réalisation de la stratégie du président Assad. Ce dernier reproche, en particulier, au leader palestinien d'ajourner, sous divers prétextes, la réconciliation entre l'OLP et la Jordanie, devenue l'alliée de la Syrie.