Le plus étonnant exemple est son ami de jeunesse Teng Hsiao-ping, dont il pense faire un successeur incontesté en lui attribuant des pouvoirs que personne n'a encore détenus : chef, à la fois, du parti, du gouvernement et de l'armée. De quoi ménager une transition modérée en attendant que les jeunes de l'équipe de Changhai, mûris, puissent assurer une vraie relève. Tous ces calculs s'effondrent dès la disparition de Chou En-lai, aussitôt désavoué.

Une lutte éclate au sein du Bureau politique et du Comité central, « scindé en deux », révèle le Quotidien du peuple le 17 février. Alors, celui que le monde entier reconnaît déjà comme le successeur de Chou En-lai, le premier vice-Premier ministre Teng Hsiao-ping, peut tout juste prononcer l'éloge funèbre de son protecteur au cours d'obsèques auxquelles Mao n'assiste pas. Après quoi, il disparaît, victime d'une campagne d'affiches savamment orchestrée. L'une d'elles, fin février, dénonce même « l'horrible monstre à trois têtes : Teng Hsiao-ping, Lin-Piao, Liou Chao-chi ». Cette promiscuité dangereuse avec deux morts maudits annonce la curée.

L'agenda du président Mao

Mourant, le Premier ministre Chou En-lai ne pouvait plus recevoir de visites. Alors le président Mao Tsé-toung les recevait à sa place, plus nombreuses qu'avant : Mohieddine Marouf, vice-président d'Irak (6 juill. 1975), prince Sihanouk venu faire ses adieux (27 août), Edward Heath, ex-Premier ministre britannique conservateur (21 sept.), Le Duan, premier secrétaire du parti communiste du Viêt-nam (24 sept.), Bjeditch, Premier ministre de Yougoslavie (8 oct.), Henry Kissinger, secrétaire d'État américain (21 oct.), Helmut Schmidt, chancelier de la RFA (30 oct.), Gerald Ford, président des États-Unis (2 déc), David et Julie Nixon-Eisenhower (31 déc.), Pat et Richard Nixon, ex-président des États-unis (23 févr. 1976), Moubarak, vice-président d'Égypte (20 avr.), Robert Muldoon, Premier ministre de Nouvelle-Zélande (30 avr.), Lee Kuan-yen, Premier ministre de Singapour (15 mai), Zulfikar Ali Bhutto, Premier ministre du Pakistan (27 mai), le dernier.

Émeutes

Soudain, le 30 mars, tous les portraits de Teng disparaissent de Pékin, où l'on ne peut plus en acheter un seul, et, le 8 avril, pas plus de trois mois, jour pour jour, après la mort de Chou En-lai, dont on avait cru qu'elle ferait de lui le maître de la Chine aux côtés de Mao, Teng Hsiao-ping, à 72 ans, subit sa seconde disgrâce totale, dix ans après la première, au début de la Révolution culturelle : il est démis de toutes ses fonctions par le Bureau politique au nom du Comité central.

L'événement semble avoir été précipité par les émeutes qui ont éclaté quelques jours plus tôt sur la grand-place de Pékin, qui, pour l'occasion, n'a guère mérité son nom : place de la Paix céleste (Tien An-men), alors qu'à l'inverse l'année du dragon, qui a commencé le 31 janvier, mérite la réputation que lui fait le calendrier lunaire d'« année au cours de laquelle se déroulent toujours des événements spectaculaires ».

Le dimanche 4 avril, jour de la Fête des morts, l'immense place Tien An-men est envahie par des dizaines de milliers de fidèles de Chou En-lai venus fleurir le monument aux héros et coller, par la même occasion, des affiches manuscrites qui apparaissent comme une contre-offensive organisée des anti-gauchistes (défenseurs, à la fois, de la mémoire de Chou En-lai, qu'on cherche à effacer, et de son dauphin Teng Hsiao-ping, pratiquement désigné par lui). Certaines affiches attaquent l'épouse de Mao, Chiang Ching, que ses ennemis accusent de gouverner par personne interposée : elle est baptisée Indira Gandhi ou l'impératrice douairière.

D'autres affiches rendent hommage à une épouse précédente de Mao, Yang K'ai-hui, fusillée en 1930 par le Kuomintang (le même jour à Nankin, une affiche dénonce « le gang noir qui recherche le pouvoir », sous-entendu, les jeunes loups de Chang-hai).

Le lendemain, la vaste place est nette : plus aucune trace des couronnes, affiches, banderoles, enlevées au cours de la nuit. Alors la foule s'amasse et l'émeute éclate ; grâce à une neutralité apparemment bienveillante de l'armée, les manifestants essaient de monter à l'assaut du palais de l'Assemblée, font voler casques et brassards des policiers, incendient une jeep, une limousine, un autobus, mettent à sac un immeuble de deux étages, molestent des étrangers, confisquent leurs pellicules... Bilan officiel : 100 miliciens blessés (dont 12 sérieusement) et 6 militaires enlevés.