Fort de la majorité parlementaire de son parti, et avec des élections encore lointaines, P.E. Trudeau passe outre aux attaques et accusations de l'opposition. Il menace plutôt de recourir à des contrôles renforcés si les Canadiens ne se disciplinent pas. Le 16 octobre 1975, le ministre des Finances, Donald McDonald, soumet à l'approbation de la Chambre un train de mesures législatives dont la portée, espère-t-il, réduira l'inflation de moitié en trois ans. La législation gouvernementale limite à 10 % l'augmentation des salaires avec un plafond de 2 400 dollars, impose aux compagnies des hausses de prix proportionnelles à leurs frais d'exploitation, régit les revenus des professionnels et le coût des logements, restreint les dépenses du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et, enfin, crée une commission de surveillance. De toutes les provinces, seul le Québec, qui n'entend pas déléguer ses pouvoirs à Ottawa, institue sa propre commission anti-inflation.

Réaction

Au moment de l'adoption de la loi, laquelle vise 50 % de la main-d'œuvre nationale et des milliers d'entreprises, 1,4 million de travailleurs sont sans contrat de travail. La réaction des syndicats est d'une virulence peu commune. Ils estiment que le pouvoir politique fait porter à leurs membres tout le poids de l'inflation délibérément engendrée par ceux qui en tirent profit. L'injustice est d'autant plus criante, selon eux, que les dispositions de la loi ne permettront jamais aux petits salariés de récupérer leur pouvoir d'achat perdu, alors que les compagnies canadiennes accroissaient, en toute liberté, leurs profits de 68 % entre 1972 et 1975. Persuadé qu'il est plus facile de geler les salaires que les bénéfices, le Congrès du travail du Canada (CTC) mobilise, le 30 octobre, ses 2 millions d'adhérents contre la loi dont il exige l'abrogation.

De fait, en opposant son veto à toute augmentation salariale supérieure à 10 %, mais sans ralentir en même temps la hausse des prix à la consommation, la commission de surveillance, présidée par l'ancien ministre de l'Industrie et du Commerce, Jean-Luc Pépin, ne fait que stimuler l'appréhension des centrales syndicales. Malgré un léger fléchissement, que personne n'attribue aux mesures déflationnistes, l'indice du coût de la vie grimpe de 9,1 % entre février 1975 et février 1976. De plus en plus incrédules, les travailleurs engagent la lutte contre le gouvernement central. Un premier grand coup est donné le 22 mars 1976, À l'appel du CTC, 20 000 syndiqués manifestent leur mécontentement devant le Parlement d'Ottawa. Dans un mémoire remis au ministre du Travail, John Munro, le CTC blâme énergiquement le gouvernement d'avoir établi une politique cynique et brutale envers les salariés. Interpellé à la Chambre par l'opposition, le Premier ministre P.E. Trudeau réaffirme sa volonté d'intensifier les restrictions. Le lendemain, le CTC se retire des organismes gouvernementaux de consultation en signe de protestation.

Inquiétude

Pendant que les syndicats protestent, les milieux d'affaires, eux, doutent et s'inquiètent des intentions du gouvernement. En effet, dans son message de fin d'année, P.E. Trudeau soutient que l'État doit intervenir davantage dans les décisions économiques. « Le système de libre entreprise est peu efficace, prétend-il, et nous devrons infléchir les pouvoirs des groupes qui dirigent notre économie depuis trente ans. »

Cette réflexion, qui clôt douze mois de difficultés, trahit cependant les hésitations du chef de l'administration canadienne sur la façon de relancer l'économie du pays. Aux banquiers, aux industriels, aux économistes qui prennent ombrage de ses propos, il nie, le 19 janvier 1976, vouloir contredire les principes du libéralisme. Mais, comme ils le pressent alors d'expliquer son glissement vers le socialisme, il les maintient dans l'incertitude en affirmant qu'il faut modifier le système si on ne peut l'écarter.

Démissions

Préoccupé par la crise économique qui ne lui laisse guère de répit, le Premier ministre P.E. Trudeau franchit l'année politique la plus sombre depuis son entrée en fonctions, il y a huit ans (Journal de l'année 1967-68).