Resté sans solution bien qu'en avril le président Giscard ait laissé entendre que des perspectives de règlement se dessinaient, le drame des époux Claustre a mobilisé l'opinion publique française, altéré momentanément les relations entre Paris et N'Djamena, suscité enfin de vives critiques à l'égard du gouvernement français de la part de beaucoup d'Africains.

Quatre prisonniers

Enlevée dans la nuit du 21 au 22 avril 1974, à Bardai, localité ou Tibesti, dans le nord du Tchad, par une fraction des rebelles Toubbous placée sous le contrôle du chef Hissene Habré, l'ethnologue et archéologue Françoise Claustre est, depuis cette date, retenue en otage. Son mari, Pierre, qui lui a rendu visite à plusieurs reprises est, en août 1975, à son tour, fait prisonnier par les rebelles. D'autre part, deux journalistes français, Marie-Laure de Decker et Robert Depardon, qui étaient parvenus à se rendre au Tibesti sans grandes difficultés et y avaient eu plusieurs fois des contacts avec Hissene Habré, après avoir disparu sans laisser de trace depuis décembre 1975 donnent signe de vie, fin juin 1976.

Calvaire

Il a, en réalité, fallu attendre plus de dix-huit mois après l'enlèvement de l'ethnologue pour que les Français soient réellement bouleversés par cette affaire. C'est l'apparition de la prisonnière sur les écrans de la première chaîne de télévision (à un moment où son geôlier menaçait de l'exécuter, si la France ne consentait pas à lui livrer immédiatement une rançon en argent et en armes), qui fait prendre conscience à la plupart des Français du calvaire des époux Claustre.

C'est à cette époque notamment qu'une douzaine d'organisations féminines font une démarche à l'Élysée en faveur des détenus. Mais le Comité pour la libération de Françoise Claustre n'avait pas attendu l'émission pour tenter de mobiliser les pouvoirs publics. D'autre part, dans les milieux de la majorité comme dans ceux de l'opposition, de nombreuses voix s'élevèrent pour critiquer le fait que la France donne l'impression de sacrifier la personne des époux Claustre pour assurer la pérennité de sa politique de coopération avec le Tchad.

Le gouvernement du Tchad, incapable d'obtenir d'Hissene Habré qu'il mette fin à la captivité des époux Claustre, s'irrite vivement du fait que Paris cherche à traiter directement avec les Toubbous. Après avoir accusé la France de « se mettre à genoux devant les rebelles », la presse tchadienne (la radio notamment) dénonce « la violation de la souveraineté du Tchad » et n'hésite pas à qualifier l'attitude française d'« agression caractérisée ».

Crise

La crise franco-tchadienne a atteint son point de rupture en septembre ; les dirigeants de N'Djamena exigent le retrait immédiat, inconditionnel et total des troupes françaises stationnées dans le pays. Ces dernières quittent Sahr (ex-Fort-Archambault) et N'Djamena dès le mois d'octobre 1375, tandis que le général Malloum rejette catégoriquement tout appel aux organisations humanitaires pour négocier la libération de Pierre et Françoise Claustre. Il faudra attendre mars 1976 pour que se normalisent les relations franco-tchadiennes, après que Jacques Chirac, Premier ministre, se sera personnellement rendu à N'Djamena. Auparavant, Robert Galley l'avait précédé, à trois reprises consécutives, dans la capitale tchadienne.

Plusieurs chefs d'État africains, dont le président Bongo du Gabon, qui ne ménagea pourtant pas ses critiques à l'égard de la France reflétant en cela le point de vue de la majorité de ses collègues, offrent leur médiation entre Paris et N'Djamena. Dans la plupart des États sudsahariens, l'opinion condamne sans nuances le comportement français considéré comme relevant du néocolonialisme ; on proteste contre l'importance accordée à deux personnes, dont la sauvegarde paraît plus importante que la préservation de l'ensemble des rapports entre la France et l'Afrique.

Le préfet Morel, au nom du gouvernement français, remet en septembre 1975 l'équivalent de 1 milliard d'anciens francs à Hissene Habré ; mais n'obtient rien, en contrepartie du chef de bande, malgré ses promesses antérieures. Il est vrai que celui-ci contrôle mal ses hommes, qu'il est en rivalité ouverte avec un autre rebelle, Goukouny, fils du Derdeï, chef spirituel des Toubbous, qu'il est en butte à l'hostilité du Frolinat, et que seul le fait de retenir les époux Claustre comme otages le protège d'une attaque massive et brutale des forces armées tchadiennes.