Si G. Ford laisse espérer à Sadate une révision de la politique américaine à l'égard d'Israël, le chef de l'État égyptien fait miroiter la perspective d'une rupture entre Le Caire et Moscou. À la veille des entretiens de Salzbourg, il laisse entendre qu'il pourrait être amené à dénoncer le traité d'amitié égypto-soviétique si le Kremlin devait continuer à armer massivement la Libye.

Divergences avec Moscou

Le reproche constant formulé à l'encontre de Moscou, et qui revient telle une litanie dans la plupart des déclarations publiques du président Sadate, est que l'URSS refuse de livrer l'armement en remplacement de celui qui a été perdu lors de la guerre d'octobre, notamment 120 avions de combat. Le chef de l'État égyptien, dans une interview accordée en janvier au Monde, explique que l'objectif du Kremlin est de l'empêcher de mener « toute action militaire, même limitée, contre Israël ». « Nos divergences, ajoute-t-il, s'étendent aujourd'hui à divers domaines, militaire, économique et politique. » Il révèle à ce propos que Moscou lui refuse un moratoire de dix ans pour le remboursement des dettes contractées lors de l'achat d'armement et de biens d'équipement.

La presse soviétique est beaucoup plus discrète sur le chapitre de la dégradation des relations entre les deux pays. Elle accuse néanmoins les gouvernants égyptiens de faire trop confiance à la « diplomatie personnelle » de Henry Kissinger, de ne pas procéder, comme le prévoit le traité d'amitié, à des consultations régulières avec les dirigeants de Moscou, de mener une campagne de dénigrement systématique contre l'URSS, enfin de dénaturer le système nassérien en livrant l'Égypte au « pillage du capital étranger ».

La tension qui ne cesse de se développer entre les deux capitales conduit le secrétaire général du PC soviétique Leonid Brejnev à ajourner à deux reprises la visite qu'il doit entreprendre en Égypte. Fixée au 14 janvier, celle-ci est reportée sine die le 30 décembre. Cependant, les Israéliens persistent à ne pas croire à la profondeur de la crise égypto-soviétique.

Aides de l'URSS

Il est vrai que la coopération égypto-soviétique dans tous les domaines autres que celui de la politique se poursuit sans relâche. Trois accords sont signés à la mi-juillet 1974, portant sur la réalisation de projets industriels d'une valeur totale de 70 millions de dollars. On annonce en octobre que l'URSS fournira une centrale nucléaire et participera à l'édification d'un vaste complexe sidérurgique à Alexandrie ainsi qu'à celle d'une importante usine d'aluminium en Haute-Égypte.

Dès le début de 1975, des armes soviétiques (dont une cinquantaine de Mig 23, des missiles sol-sol, quelque 500 chars) affluent en Égypte (le président Sadate n'admettra l'existence de ces livraisons qu'en mars). La visite du ministre soviétique des Affaires étrangères Andreï Gromyko, du 2 au 5 février, se solde par la conclusion de nouvelles transactions d'armes. Les échanges commerciaux entre les deux pays en 1975 seront de 10 % plus élevés qu'en 1974, passant à plus d'un milliard de dollars.

Malgré tout, Sadate souhaite recevoir de l'armement plus perfectionné et, surtout, diversifier ses sources d'approvisionnement. Il acquiert de l'équipement américain par le truchement de pays tiers, en particulier l'Arabie Saoudite et l'Iran, et achète du matériel en France grâce aux fonds que lui fournissent de riches pays arabes, producteurs de pétrole.

Visite à Paris

La décision du gouvernement Chirac, le 28 avril 1975, de lever l'embargo (établi en 1967) sur la vente d'armements aux pays dits du champ de bataille (Israël, Égypte, Syrie et Jordanie) favorise les desseins du Rais égyptien. Avant même que cette décision soit prise, 38 Mirage III E, achetés par l'Arabie Saoudite, avaient été livrés au Caire.

La visite qu'entreprend Sadate à Paris du 27 au 29 janvier (la première qu'effectue en France un chef d'État égyptien depuis un demi-siècle) se solde par un accord de principe pour l'achat de matériels coûtant quelque 10 milliards de francs (en 1973, l'ensemble des exportations d'armes françaises avait atteint le chiffre de 8 milliards de francs). L'Égypte souhaite acquérir 44 Mirage F1, dont 22 d'un modèle perfectionné, mais les premières livraisons ne pourraient être effectuées avant la fin de 1977. Elle charge en outre l'Arabie Saoudite, son commanditaire, d'acheter aux États-Unis 40 à 50 appareils F5 Northorp. Elle envisage de construire, avec la participation de la Grande-Bretagne, une usine pour fabriquer sous licence des hélicoptères Lynx. En attendant, elle passe commande en France, en mai, de 42 hélicoptères légers Gazelle SA-341. Sadate, rapporte la presse américaine, serait décidé à rééquiper entièrement son armée avec du matériel français, anglais et américain dans les cinq prochaines années. En même temps, il souhaiterait assurer à l'Égypte une certaine autonomie. Un accord est signé à cet effet le 9 mai avec les gouvernements d'Arabie Saoudite, de Qatar et de l'État des émirats arabes unis, prévoyant la création d'une « industrie militaire avancée arabe ». Le nouvel organisme, dont le siège a été établi en Asie, est doté d'un capital de 1 milliard de dollars.

Ouverture

Sur le plan intérieur, les projets de développement (auxquels le budget de 1975 consacre 12 milliards de dollars) ainsi que les mesures de libéralisation (dont la plus spectaculaire est l'autorisation donnée, fin mai, aux Égyptiens d'acheter des actions des entreprises du secteur public) ne parviennent pas à résoudre la crise économique et sociale. Le déficit de la balance commerciale et celui de la balance des paiements en 1975 sont évalués chacun à 3 milliards de dollars.