Entre les gouvernements les préventions de toutes sortes ne sont pas tombées (notamment celles des petits pays), et les intentions européennes de Wilson ne sont pas les seules à rester ténébreuses pendant toute cette période.

Banalisés

C'est pour « sonder les reins et les cœurs » que Giscard, décidé à ne pas faire de faux pas, organise son fameux dîner entre les chefs de gouvernement, en septembre 1974. Giscard se décide à convoquer un sommet européen qui se tient du 10 au 12 décembre à Paris ; ce sera le dernier du genre. Les trois décisions qui y seront prises dans le domaine institutionnel marquent un certain tournant (elles vont dans le sens réclamé par les centristes de la nouvelle majorité présidentielle). Il s'agit de renforcer la capacité de décision politique au sein de la Communauté et d'élargir les bases démocratiques des institutions. Ainsi, au moins trois fois par an, les chefs de gouvernement assistés des ministres des Affaires étrangères siégeront, en tant que Conseil de la Communauté ; les sommets se banalisent. En outre, il est décidé de mettre en veilleuse la règle de l'unanimité que le général de Gaulle avait fait prévaloir le 28 janvier 1966 à Luxembourg.

Les Neuf demandent d'autre part au Parlement européen de faire des propositions pour que des élections au suffrage universel direct, pour l'assemblée européenne, puissent avoir lieu à partir de 1978.

Élections

Le Parlement européen ne s'est pas fait prier. Les propositions qu'il présente prévoient l'élection le premier dimanche du mois de mai 1978, le même jour dans tous les États de la Communauté, selon une procédure uniforme. Seraient à pourvoir 355 sièges : Allemagne 71, Royaume-Uni 67, Italie 66, France 65, Pays-Bas 27, Belgique 23, Danemark 17, Luxembourg 6 (actuellement 198 députés désignés par leurs Parlements respectifs siègent à l'Assemblée de Strasbourg).

Dans leur élan, les Neuf se donnent deux ans pour introduire un passeport européen, prévoir l'harmonisation par étapes de la législation sur les étrangers et abolir le contrôle des passeports dans la Communauté. Ils ouvrent la voie à la libre installation des médecins.

Les contours d'une union politique européenne sont loin d'être fixés pour autant. Le Premier ministre belge, Léo Tindemans, est chargé à ce sujet d'une mission d'investigation auprès des gouvernements.

Chômage et monnaie

Les préoccupations des populations sont ailleurs. C'est la crise. Quatre millions de chômeurs dans la Communauté au printemps 1975 ! On n'avait jamais vu cela. Dans ces conditions, la mise en œuvre d'une union économique et monétaire entre les Neuf ne progresse pas. Seule la France fait un geste, en annonçant, le 9 mai 1975, que sa monnaie rejoint le peloton des monnaies européennes fortes (le mark allemand, le franc belge, le florin hollandais et la couronne danoise). Cette réintégration du franc dans le serpent est officialisée le 10 juillet.

L'idée de constituer un pôle monétaire européen reste l'un des objectifs de la Communauté ; mais la prudence retient les ministres des Finances qui, tout au plus, décident de constituer une unité de compte monétaire composée uniquement de monnaies européennes, à l'exclusion du dollar. Il s'agit au départ de comptabiliser avec cet instrument les opérations du Fonds de développement européen et de la Banque européenne d'investissement. Avec l'optimisme de Jean-Pierre Fourcade, on peut y voir le début du processus qui conduira à la création d'une monnaie européenne, l'écu. Cette initiative est à rapprocher de l'accord intervenu entre les Neuf sur la possibilité de lancer un emprunt communautaire en dépit des réticences allemandes (inquiétude de servir de caution à une opération d'emprunt).

Cette Europe monétaire embryonnaire ne pèse pourtant pas lourd alors que le cours du dollar flotte à la baisse et que la livre s'écroule.

Révoltes

Les conflits des viticulteurs et les péripéties sur les prix agricoles montrent la fragilité de la Communauté dans un domaine riche pourtant d'une solide expérience. Autour de quelques principes, la politique agricole commune aura résisté jusqu'ici à tous les vents contraires. La gestion des marchés, la politique de soutien des prix avaient suscité dans le passé des réserves de la part des Allemands, excédés d'être les éternels payeurs. La querelle s'est naturellement envenimée en période inflationniste lorsqu'il s'est agi de rajuster les prix en cours de campagne (en octobre 1974) et de fixer (février 1975) les prix de la campagne 1975-76.