La formule choisie, la grève de l'enthousiasme (grève perlée dont la légalité est contestée par la direction), réduit les pertes de salaires. Les travailleurs font preuve d'une ténacité qui étonne. Ils ont contre eux les salariés des autres usines de la Régie appelés à réduire leur activité, une partie des états-majors syndicaux, la population locale qui s'étonne de voir protester des gens assurés de la garantie de l'emploi.

À Matignon, on suit de très près les événements. On laisse officiellement à Pierre Dreyfus le champ libre pour mener la négociation. Le 2 avril, après un long silence, il rouvre le dialogue. Et après plus d'une semaine de négociations, le 15 avril, un compromis est accepté par le personnel. Sans obtenir les 250 F d'augmentation mensuelle exigés au départ, les grévistes se voient accorder 140 F de plus par mois. C'est donc par un match nul que se termine la grève la plus longue de l'histoire de la Régie.

Occupations d'usines

Les deux grands conflits qui ont dominé la scène sociale ne doivent pas faire oublier l'ensemble des actions engagées souvent dans de petites entreprises de province.

En l'espace de dix mois, on a pu dénombrer un minimum de 200 occupations d'usines. Certaines n'ont duré que quelques jours, d'autres plusieurs mois (Tanneries d'Annonay, Buda à Toulon).

Des procédés de luttes originaux, à la limite de la légalité (la violant même parfois) sont mis en œuvre :
– blocage du Train bleu en gare de Cannes par les grévistes de Aloa-Marine, qui entament leur septième mois d'action ;
– manifestation de 200 salariés de la Sotrimec à l'occasion de la session du Conseil général de Loire-Atlantique, à Nantes ;
– organisation de journées portes ouvertes chez Everwear à Saint-Quentin, chez Teppaz à Creponne (près de Lyon), chez Griffet à Marseille, etc. ;
– organisation d'une fête populaire à l'occasion du 1er Mai à Pézenas par les grévistes de Socomatec (chargeurs de batterie et postes de soudure). Les actions entreprises s'acompagnent de la vente d'objets fabriqués par les grévistes ;
– retenue de trois dirigeants de l'entreprise Dupont (briquets), en Haute-Savoie ;
– manifestation de 700 délégués du textile devant la chambre patronale de Lyon ;
– opération ville morte à Labastide-Rouairoux (Tarn), pour protester contre la fermeture de l'entreprise Bourguet (300 salariés) ;
– manifestations locales ou régionales en faveur de l'emploi, comme à Fourmies (2 000 personnes) ou à Cholet (5 000 personnes).

Tous les moyens sont employés pour sensibiliser l'opinion ou les pouvoirs publics.

Sans doute la crise de la presse est-elle au cœur du conflit du Parisien libéré. Mais il s'agit aussi d'un conflit du travail classique ; son point de départ est un différend sur les salaires, mais particulier, en raison du monopole syndical d'emploi.

Les ouvriers du Livre sont payés pour un service d'une durée de 6 h, en principe, qui s'effectuerait, selon certains patrons, en un temps inférieur. Les ouvriers, par ailleurs, font fréquemment deux services, parfois trois ; ce qui leur permet de doubler, voire de tripler, leur rémunération.

Le directeur du Parisien libéré voulait diminuer le nombre de services. Or, le syndicat CGT, qui dispose du monopole de l'embauche (c'est le syndicat qui choisit les ouvriers des imprimeries des journaux parisiens), refuse cette diminution, équivalant à une perte de salaire. Dans un premier temps, le syndicat ralentit la fabrication du journal, qui n'est plus distribué à temps. La direction répond en faisant imprimer le journal en Belgique. Mais, surtout, le Parisien libéré installe deux imprimeries, à Chartres et à Saint-Ouen, et embauche des ouvriers de FO. Face à cette suppression du monopole, la CGT réagit vigoureusement, dénonçant la trahison d'André Bergeron, et s'efforce d'empêcher la diffusion du Parisien libéré. Paradoxe du conflit, lorsque, pour contraindre E. Amaury, directeur du Parisien libéré, à négocier, le syndicat empêche à quatre reprises la parution des quotidiens parisiens, le Parisien est le seul à paraître. Deux attentats, sans doute dus à des provocateurs, contre André Bergeron et un journaliste de l'AFP, décédé des suites de ses blessures, donnent un ton dramatique au conflit, les syndicats multiplient les manifestations pour contraindre le gouvernement à intervenir en favorisant l'ouverture de négociations. Cependant, à la veille des vacances les pourparlers n'ont toujours pas abouti.

Usinor

Synthèse complexe de l'ensemble des conflits, la grève d'Usinor-Dunkerque, lancée fin avril, résume bien les enjeux et les incertitudes du climat social. Sans doute la toile de fond est-elle faite de craintes sur l'emploi, mais le conflit se veut d'abord protestation contre les augmentations de cadences qui ont curieusement accompagné une diminution des horaires. Comme à Noguères (Pechiney), en 1973, le maintien de l'outil de travail est compromis sans que l'on sache finalement si le « chantage » à la destruction est le fait de la direction ou des syndicats. Se mêlent également épreuves de force (les syndicats occupent ; la direction fait appel à la police) et négociations.