Et c'est ainsi que, en 1974, la fixation des prix agricoles communautaires a été révisée à deux reprises : une première fois en avril (+ 8,5 %), une seconde fois en septembre par le Conseil des ministres qui décide d'augmenter de 5 % tous les prix agricoles, exceptés ceux des fruits et légumes. L'augmentation du niveau général des prix communautaires à la production aura été de 13,9 %, en 1974.

Nonobstant les aides nationales et communautaires et la révision des prix à la production, les dirigeants agricoles français soutiennent que le revenu des agriculteurs a été le seul à connaître une baisse importante en 1974, qu'ils estiment à 15 %. La comptabilité nationale (INSEE) donne pour 1974 des résultats un peu moins dégradés que ceux que présentent les professionnels : « Le revenu en valeur réelle par exploitation diminue de 8,7 % entre 1973 et 1974, compte tenu de la diminution du nombre des agriculteurs qui est estimée à 2,7 %. » Le revenu en valeur réelle a vraisemblablement diminué de 11,2 %.

Au début du mois de janvier 1975, les agriculteurs envisagent de nouvelles manifestations.

Franc vert

À Bruxelles, les négociations entre les Neuf pour la fixation de la nouvelle grille des prix communautaires (1975-76) sont délicates : les agriculteurs français, relayés par le ministre de l'Agriculture Christian Bonnet, demandent un relèvement moyen des prix à la production de 15 % ; à Paris, le gouvernement souhaite 13,5 % ; les instances communautaires seraient, quant à elles, favorables à une hausse de 8 % environ.

Grâce à des artifices d'ordre monétaire sur le plan national, qui s'apparentent à une dévaluation du franc vert, le niveau des 13,5 % promis par le gouvernement est atteint. Il aura fallu quatre conseils pour qu'à Luxembourg les Neuf se mettent d'accord sur une base de relèvement des prix agricoles de 10 %, à moduler ensuite par pays. Toutefois, puisque le gouvernement s'y était engagé, des mesures nationales seront néanmoins accordées, une fois encore, aux agriculteurs français vers la fin février. Ainsi, pour soutenir le secteur le plus éprouvé (l'élevage bovin), le gouvernement décide une nouvelle prime à la vache de 160 F (avec un maximum de 15 vaches par agriculteur) : le montant global atteint 1 350 millions de francs, pris en charge à raison de 35 % par la CEE ; tous les agriculteurs bénéficient d'une aide sociale dont le montant total atteint 1 345 millions de francs, soit une aide fixe de 1 200 F à quelque 1 120 000 agriculteurs. Cette nouvelle aide de l'État apporte une détente provisoire dans les milieux paysans. Dans le secteur de la viande bovine, la clause dite de sauvegarde appliquée le 16 juillet 1974 (la CEE ferme ses frontières aux importations de viande en provenance des pays tiers) commence à porter ses fruits en mars 1975. Les cours à la production dans la Communauté qui ne subissent plus la concurrence étrangère marquent une nette tendance au redressement. L'intervention permanente, c'est-à-dire les achats systématiques effectués par l'Office national interprofessionnel du bœuf et des viandes (ONIBEV) pour désengorger le marché, a, elle aussi, fortement contribué à cette meilleure tenue des cours.

Ce protectionnisme à l'égard de la production communautaire de la viande ne s'applique pas hélas dans le secteur des vins de table.

Deux récoltes pléthoriques (1973 et 1974) ont engorgé le marché français des vins ordinaires produits par les départements du Midi viticole. La faiblesse des transactions métropolitaines sur cette catégorie de vin n'arrête pas les négociants français qui achètent massivement et à des prix de dumping des vins italiens. Les quelque 500 000 hl qui sont ainsi mensuellement importés dans notre pays finissent par créer une situation de crise.

Le 18 mars, les viticulteurs du Midi méditerranéen passent à l'action directe : les pinardiers italiens sont bloqués dans les ports de Sète et de Port-Vendres ; ces villes sont aussi le théâtre de manifestations de colère qui donnent lieu à de violentes échauffourées avec le service d'ordre.