En 1974, des livres aux titres fracassants (L'invasion pharmaceutique, Les trusts du médicament, Plaidoyer pour une antimédecine) ou plus anodins (Guide des médicaments les plus courants) dénoncent l'impuissance de la thérapeutique moderne, l'asservissement du public et du corps médical aux trusts pharmaceutiques, et la nocivité des médicaments.

Sur le plan des généralités humaines, les tenants de l'antimédecine estiment que les progrès thérapeutiques ne sont pas directement à l'origine de l'allongement de la vie humaine : seule une meilleure hygiène quotidienne en serait responsable.

Médicaments

Les fabricants de spécialités pharmaceutiques sont accusés d'accumuler de fabuleux bénéfices, en lançant sur le marché des médicaments peu efficaces dont ils assurent la vente grâce à un matraquage publicitaire incessant. Il s'ensuit, à la fois, une surconsommation et un gaspillage. Surconsommation, car l'abstention thérapeutique serait de règle quand il s'agit de troubles psychosomatiques ; gaspillage, car le conditionnement des produits impose, par exemple, des tubes de 50 comprimés, alors que 20 suffiraient à éliminer le symptôme ou à faire régresser la maladie.

Sur le plan médical, les reproches sont variés. Ils vont du mauvais emploi du médicament aux accidents secondaires qu'il provoque. Sur ce dernier point, c'est l'ensemble de la pathologie iatrogène (maladies causées par la médecine) qui est évoqué. Le médecin, qui prescrit trop et mal, et le malade, qui n'exécute pas correctement la prescription, sont à blâmer ; les tenants de l'antimédecine n'épargnent ni l'un ni l'autre. Le médecin est davantage complice et le malade davantage victime de notre société de consommation où le médicament est un objet à vendre comme un autre. Il faut donc informer et éduquer l'un et l'autre. Au malade d'apprendre à vivre avec sa maladie. Au médecin de repenser sa thérapie.

Antibiotiques

La réplique des médecins sur le premier chef d'accusation tient en quatre points.

Il est ambigu d'affirmer que les améliorations des conditions de vie et l'hygiène sont à l'origine de la diminution de la mortalité pour certaines maladies et de l'augmentation du pourcentage des guérisons. La mortalité par tuberculose pulmonaire, en France, est passée de 215 pour 100 000 en 1910, à 6,5 pour 100 000 en 1973. Autrement dit, alors qu'autrefois un tuberculeux sur deux mourait, aujourd'hui la guérison de la tuberculose est obtenue dans 96 % des cas. Quel est le facteur responsable de cette évolution : l'emploi des antibiotiques ou les conditions de vie ? Les statistiques répondent sans ambiguïté : la découverte des antibiotiques. La méningite avant la streptomycine était mortelle dans 100 % des cas. La guérison bactériologique intervient maintenant dans 95 % des cas, et la mortalité est réduite à 3 % depuis 1964.

La situation est plus nette encore en cancérologie. La thérapeutique, aujourd'hui, permet de guérir un cancéreux sur trois ; l'hygiène pourrait peut-être amener cette fraction à deux sur trois. Or, elle ne le fait pas. Nos connaissances étiologiques pourraient nous permettre d'éviter 50 000 cancers chaque année. Mais l'hygiène méprise cette possibilité ! (Pr Georges Mathé.)

Des maladies non mortelles mais gênantes sont guéries rapidement et sans risques. Ainsi, la trichomonase et l'amibiase grâce au métronidazole.

Les symptômes de la plupart des maladies chroniques sont atténués dans leur intensité et leur durée ; l'arthrite rhumatoïde par les cortisoniques, l'accès maniaque par le lithium, le syndrome schizophrénique par les neuroleptiques, la maladie de Parkinson par la L-dopa (Journal de l'année 1972-73), certains asthmes par le chromoglycate disodique, les syndromes dépressifs par les imipramines, la goutte par les inhibiteurs de la biosynthèse de l'acide urique. Le bilan est net. En trente ans, la thérapeutique a fait plus de progrès qu'en trente siècles (Pr Lechat).

Pharmacie

Aux États-Unis, dans les quinze dernières années, les fabricants de spécialités pharmaceutiques ont sorti 7 600 nouveautés ; 5 % seulement apportaient une véritable innovation. Est-ce une source de gaspillage ; Ou, au contraire, la maladie des sociétés industrielles ? En fait, le problème le plus important, c'est peut-être non pas tant le nombre des médicaments que leur faible durée de vie sur le marché. Ce phénomène n'est pas particulier à la pharmacie. Quant à l'élévation progressive de la consommation médicamenteuse, elle doit être reliée à l'abaissement spectaculaire de la mortalité infantile, à l'augmentation de l'espérance de vie, au raccourcissement de la durée de certaines maladies, à l'apparition de maladies métaboliques nouvelles, passées jusque-là inaperçues ou, à tout le moins, considérées comme difficiles à soigner, à la disparition progressive des longs séjours hospitaliers, à certaines agressions de la vie moderne (nuisances et pollutions), etc.

Gaspillage

On peut se demander si les médicaments sont gaspillés du fait de leur conditionnement. Le nombre des pilules, des ampoules, des dragées ou des suppositoires contenus dans une boite doit théoriquement suffire à apaiser le trouble ou à vaincre le mal. Mais, compte tenu de l'extrême variabilité des réactions des patients aux médicaments, tel malade sera guéri avec 12 cachets d'une boite de 20, tel autre ne verra sa maladie régresser qu'à la troisième boîte, soit au-delà de 40 cachets.