Jusqu'ici l'opération a été pratiquée soit sur de petites molécules d'ADN, distinctes du chromosome, les plasmides, qu'on trouve dans de nombreuses bactéries, soit sur un virus, le bactériophage lambda, par lequel on infecte des bactéries après avoir manipulé l'ADN du virus. Parmi les expériences réalisées figure l'introduction dans la bactérie de virus réputés cancérigènes, ou de plasmides rendant la bactérie résistante aux antibiotiques. Or le matériel-expérimental utilisé est une banale bactérie de l'intestin humain, Escherichia coli. Les généticiens américains exprimaient la crainte que des colibacilles ainsi transformés, accidentellement échappés du laboratoire, se multiplient dans la population humaine, provoquant de redoutables épidémies, voire une catastrophe incontrôlable.

Applications

Quelques-uns des promoteurs du moratoire semblent avoir voulu mettre en lumière le danger de l'application de telles techniques aux recherches sur la guerre bactériologique, couvertes par le secret militaire, comme celles qui se poursuivaient dans le blockhaus de Fort Detrick, aux États-Unis.

Une préoccupation plus unanime concernait les applications envisagées dans l'industrie chimique et pharmaceutique. Des bactéries modifiées, cultivées en grande quantité, pourraient produire à bon marché des enzymes et des hormones dont la synthèse est actuellement coûteuse (comme l'insuline) ; ou encore introduire dans des végétaux des gènes permettant la fixation directe de l'azote atmosphérique. Étant donné le risque présenté par des manipulations qui comportent une large part d'inconnu, les généticiens estimaient peu souhaitable que des laboratoires privés puissent s'y lancer sans contrôle.

Conférence

Les généticiens n'envisageaient pas la suspension définitive de leurs recherches, mais un temps de pause pendant lequel une conférence internationale définirait les modalités techniques à observer et même les règles d'une nouvelle déontologie.

Ainsi, cette conférence, groupant cent cinquante parmi les spécialistes les plus qualifiés du monde entier, s'est réunie à la fin de février 1975 à Asilomar, en Californie. Après avoir, à l'unanimité, levé l'embargo sur les recherches en cours, la conférence distingue trois catégories de manipulations.

La première concerne les bactéries et leurs virus ; c'est pratiquement le seul type de manipulation actuellement en usage (encore faut-il préciser qu'on a récemment réussi à inclure dans des plasmides bactériens des fragments d'ADN de grenouille ou de drosophile). La deuxième catégorie concerne les virus animaux ; la troisième, les recombinaisons d'ADN des cellules d'organismes supérieurs.

Sécurité

Dans chacune de ces catégories d'expériences, trois types de protocoles sont prévus, suivant le degré de risque.

Pour les expériences à risque faible, on se borne à recommander le respect des techniques d'usage en microbiologie, l'usage de vêtements spéciaux, de pipettes mécaniques et l'abstention de toute prise d'aliments en laboratoire. Pour les expériences à risque moyen, on préconise des précautions supplémentaires comme des laboratoires à pression négative (l'air ne peut s'en échapper à l'extérieur). Les expériences à haut risque exigeront des locaux très spéciaux, comme le blockhaus de Fort Detrick, où les recherches sur la guerre bactériologique sont interrompues.

Enfin les généticiens voudraient modifier le matériel expérimental lui-même, en obtenant des plasmides non transmissibles d'une bactérie à l'autre, ainsi que des virus bactériophages et des bactéries dont la descendance ne serait pas viable et dont la lignée s'éteindrait donc d'elle-même après l'expérience. Pour le moment, ce matériel de sécurité (qui serait obligatoire pour des expériences à moyen et haut risque) n'existe pas encore, mais sa réalisation n'est pas tenue pour utopique.

Au vrai, ces mesures concernent surtout la première catégorie d'expériences (bactéries et virus bactériophages). Les risques impliqués par d'éventuelles manipulations sur des cellules eucaryotes (d'organismes supérieurs) sont encore très mal connus.