Malheureusement, ces bienfaits incontestables s'accompagnent d'inconvénients d'autant plus inquiétants qu'ils sont hypothétiques et de nature mystérieuse. La première énergie que l'homme ait domestiquée (le feu) a fait en quelques millénaires bien plus de victimes que l'atome n'en fera sans doute jamais ; mais c'est un danger connu, familier, tandis que la radioactivité, invisible et pernicieuse, soulève des terreurs viscérales. Et se faire annoncer par la bombe d'Hiroshima n'est pas, reconnaissons-le, le meilleur moyen d'être accueillie avec faveur.

Risques

Essayons de résumer les principaux arguments des adversaires, en mesurant autant que faire se peut leur degré de vraisemblance. On peut les classer en trois groupes : les risques que présentent les centrales nucléaires en fonctionnement normal ; les risques de fonctionnement anormal ; enfin, brochant sur le tout, la question de fond : est-il sûr, finalement, qu'on ne puisse se passer d'un progrès si controversé ?

En fonctionnement normal, une centrale nucléaire pose trois problèmes. Un faux, la radioactivité ; un que l'on peut résoudre, mais non sans peine, celui du refroidissement ; un pour lequel il n'existe pas encore de solution valable, celui des déchets.

La radioactivité

Si le cœur d'un réacteur atomique est effectivement un enfer de radiations, l'environnement est triplement protégé : par le métal (acier ou zirconium) qui gaine les éléments combustibles, par la cuve d'acier qui enferme ce cœur, par la structure en béton qui contient la cuve. L'expérience, qui porte maintenant sur des dizaines de centrales et sur une vingtaine d'années, démontre leur efficacité totale. Ce qui n'est d'ailleurs pas étonnant : du fait même de la gravité du risque, l'industrie atomique s'est entourée, dès le départ, d'un luxe de précautions absolument sans précédent.

Le refroidissement

Aucun générateur d'électricité, atomique ou classique, n'a un rendement de 100 % : ils rejettent tous dans l'environnement de l'énergie dégradée, en réchauffant l'eau de refroidissement qu'ils puisent dans une rivière ou dans la mer. En raison de leur taille, de leur mauvais rendement, les centrales nucléaires rejettent énormément de chaleur, et pourraient ainsi perturber les équilibres biologiques de nos rivières et de nos côtes – dans une mesure difficile à préciser. Des parades peuvent être mises en œuvre : refroidissement par l'air (avec un risque secondaire, la création de brouillards), utilisation de la chaleur résiduelle pour le chauffage urbain (au moins en hiver). Mais elles sont peu pratiques et coûtent cher. Le conflit, non tranché, se situe ici entre un calcul économique et une inquiétude écologique pas toujours nettement fondée.

Les déchets

La fission de l'uranium laisse des cendres hautement radioactives. Pour l'instant, on les stocke dans des parcs ou des piscines, mais leur volume est appelé à croître considérablement. Le problème n'est pas urgent, mais on ne peut se contenter de le transmettre sans solution à nos enfants. Le CEA recherche un procédé de vitrification permettant un stockage souterrain définitif. On a même envisagé d'expédier les déchets par fusée dans l'espace interplanétaire...

Reste la possibilité que le réacteur nucléaire subisse un accident : chute d'un avion, tremblement de terre, ou tout simplement panne catastrophique. Faute d'expérience, on ne peut raisonner ici qu'à l'aide du calcul des probabilités. Un savant américain, le Dr Rasmussen, a ainsi calculé que le risque mortel d'habiter près d'une centrale nucléaire est cent fois plus faible que d'être frappé par la foudre, même en tenant compte du « pire accident imaginable », à savoir une panne entraînant, malgré toutes les sécurités prévues, la fusion du réacteur.

Bref, s'il n'est pas possible d'assurer que l'énergie atomique ne fera jamais aucune victime, ses inconvénients propres sont certainement moindres, statistiquement, que ceux d'autres activités courantes, telles que conduire une voiture ou fumer un paquet de cigarettes par jour. Si le procès s'arrêtait là, et si l'on s'en tenait aux arguments rationnels, il serait gagné : « dans un référendum, dit Marcel Boiteux, directeur général d'EDF, il n'y aurait peut-être pas beaucoup de « pour », mais il y aurait 95 % de « non-contre ».

Objections

Seulement, les affirmations des ingénieurs ne suffisent pas à convaincre les contestataires. Ceux-ci soulèvent encore nombre d'autres objections. Par exemple, l'encombrement de nos paysages par les lignes de transport de force. Les centrales atomiques, très puissantes et éloignées des lieux de consommation, vont conduire à les multiplier. Ou bien le risque que des commandos s'emparent des matières fissiles à l'occasion de leur transport. Ce qui, craignent-ils, exigera d'extraordinaires précautions. L'atome nous préparerait ainsi une société « centralisée et policière ».