Assez mal reçue par les jusqu'au-boutistes de la tradition, cette Mouette a connu un vif succès populaire, en particulier auprès des jeunes, à qui elle révélait un Tchékhov enfin débarrassé des afféteries et du charme prétendument slaves. Le public aura-t-il découvert Nietzsche à travers le Zarathoustra de Jean-Louis Barrault, tel qu'il nous l'a montré ? Dans sa version scénique, le prophète devient une sorte de saint, plus proche du sage rural que du surhomme habité par la volonté de puissance. Avec son enthousiasme habituel, J.-L. Barrault a joué la carte du retour à la nature, transformant l'ermite en un précurseur des hippies, une manière de Lanza del Vasto sympathique et bon enfant, parent de François d'Assise plutôt que de l'Antéchrist. Même ainsi détourné, le héros existe, curieusement différent, et fidèle. C'est l'art du metteur en scène de lui donner vie, et il y parvient, comme il avait ressuscité Rabelais.

Lucide

Mais il ne faut pas oublier pour autant le grand admirateur de Claudel, dont il a repris le Christophe Colomb, cédant son rôle à Laurent Terzieff, qui a comme transfiguré le personnage en l'incarnant. Quelque temps auparavant, on avait pu voir ce dernier dans un emploi tout autre : il était l'un des deux Émigrés de la fable de Mrozeck, où l'auteur polonais exprime ce scepticisme sardonique et narquois dont il s'est fait une spécialité. Du bon théâtre, lucide, efficace, et parfois très angoissant.

À Lyon, puis en tournée dans différentes Maisons de la culture, Roger Planchon a promené deux œuvres de son cru. Ou plutôt de sa façon, puisque A.A. est un montage de certaines pièces d'Adamov qui finissent par former une manière de biographie de l'auteur, par réfraction, tandis qu'il tente, dans Les folies bourgeoises, de montrer par des exemples, surtout tirés de la Petite Illustration, ce que furent le goût et la curieuse mentalité de la Belle Époque, tels qu'ils s'exprimaient au théâtre. Spectacles singuliers, un rien bâtards et assez sophistiqués, comme si sa collaboration quotidienne avec Patrice Chereau (puisqu'ils dirigent tous deux le TNP de Villeurbanne) avait fini par déteindre sur son esthétique.

En début de saison, toutefois, on a redécouvert le grand Planchon, lorsqu'il a présenté une version entièrement remaniée de son Tartuffe. C'est là, semble-t-il, au service des classiques dont il dissèque les intentions, qu'il donne le mieux la pleine mesure de son immense talent.

Gravité

Chéreau, pour sa part, déteint sur toutes les œuvres qu'il met en scène ; il s'agit à chaque fois d'un autoportrait, qu'il joue Don Juan, Marivaux, Richard II ou Toller. Cette année, son prétexte à se raconter aura été le très bizarre Lear d'Edward Bond, d'après Shakespeare. Une image des plus sombres, pas toujours très nette dans son dessin, et passablement équivoque sur le plan des idées, puisque E. Bond semble renvoyer dos à dos réactionnaires et révoltés, incapables de réformer l'homme, mauvais par essence.

Le pessimisme de Patrice Chéreau trouve dans cette noirceur désespérée un champ d'action et une gravité qui lui conviennent (presque trop). De quoi déconcerter le public lyonnais, assez étranger à cet univers nordique, démesuré, sans issue.

Il se sera retrouvé, au contraire, très à l'aise, entre gônes, dans le dernier spectacle de Marcel Maréchal, tout naturellement consacré à Guignol et à son créateur Mourguet. En guise d'adieu (il va s'installer à Marseille, succédant à Bourseiller), c'est une évocation nostalgique, un peu longuette, avec les défauts et les qualités que l'on connaît à M. Maréchal, bavard impénitent mais animateur merveilleux.

Prophète en son pays, il l'a moins été à Paris, où sa mise en scène de La Célestine, à la Comédie-Française, dans une version de Pierre Laville, a déchaîné la fureur des abonnés conformistes et provoqué les sarcasmes scandalisés d'une partie de la critique. C'était bien mal récompenser les efforts de Pierre Dux, qui tente de secouer résolument la poussière et les préjugés de la vénérable maison, sans renoncer pour autant à la mission qui est la sienne. Curieuse réaction, tout à fait disproportionnée aux audaces relatives de cette Célestine, au reste intelligente et juste.

Art populaire

Les habitués du Français, installé pour l'instant au théâtre Marigny, ont beaucoup mieux accepté le caracolant roman noir d'Hernani, vu par Robert Hossein. Cela devient une histoire de cape et d'épée, presque une bande dessinée, et il est bien difficile, en effet, de résister à cette fougue sincère, qui emporte toutes les réserves.