Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

La parole est, en effet, un pouvoir : on l'a bien vu en mai 1968, puis dans les lycées et, plus récemment, dans l'armée. Que la faculté de s'exprimer sur son contenu puisse améliorer l'intérêt pour le travail ne fait pas de doute. Que les patrons l'acceptent (et que les syndicats s'en servent sans tomber dans la phraséologie dialectique) est une autre affaire.

Le pouvoir de décision

Aucune remise en question de l'unicité du pouvoir de décision (la collégialité des directoires est même contestée). En revanche, la commission Sudreau tente de concilier de Gaulle, Bloch-Lainé et Georges Séguy. Trois types de partenaires (qui peuvent d'ailleurs être confondus) sont reconnus au chef d'entreprise. D'abord le syndicat, dont la légitimité apparaît aux yeux des auteurs indiscutable. À bon entendeur, salut. Puis le comité d'entreprise : outre sa mise en place effective (il est précisé qu'une entreprise sur deux n'applique pas la loi), il convient de renforcer son rôle, notamment dans le domaine de la formation, des conditions de travail et de l'information économique. Les PME apprécieront. Enfin, la cosurveillance, c'est-à-dire la représentation minoritaire (un tiers des sièges) des salariés au conseil d'administration.

Sur ce terrain, l'équipe de P. Sudreau fait de la corde raide. Son rapport précise bien qu'il ne s'agit pas de cogestion à l'allemande, c'est-à-dire d'une participation effective à la gestion avec recours à un arbitre en cas de conflit, mais simplement d'une participation au contrôle des décisions. Voilà la CGT et la CFDT rassurées. Elles ne se mouilleront pas. Cela dit, on ne va pas jusqu'à leur accorder le monopole dans la décision des représentants salariés. Dame ! une telle participation peut intéresser la majorité silencieuse des non-syndiqués. À défaut de pouvoir trancher, on offre une gamme de possibilités et on envisage une mise en œuvre progressive. Ce qui fait dire à certains que cela prépare un enterrement de première classe.

Le droit des sociétés

Certaines propositions du rapport étaient déjà dans l'air depuis un certain temps : limite d'âge pour l'exercice des fonctions de direction, réduction des cumuls de mandats d'administrateurs, renforcement des pouvoirs de contrôle des actionnaires minoritaires, notamment par le vote par correspondance et la procédure des questions écrites. D'autres sont franchement innovatrices. Il s'agit, en particulier, d'imaginer de nouvelles formes de sociétés. Parmi ces dernières, la société de travailleurs associés (symétrique de la société de capitaux), la SA à gestion participative (où des titres de participation immatériels donneraient les mêmes droits que les actions aujourd'hui) et l'entreprise sans but lucratif.

Enfin, il faut aménager le statut de la SARL, de manière à la rendre plus attrayante pour les PME, qui ont tendance à lui préférer une SA plus coûteuse à constituer mais, en définitive, plus souple à gérer. Bien que le milieu patronal fasse preuve de scepticisme à leur égard, il ne fait pas de doute que de telles dispositions contribuent à faire évoluer les mécanismes d'innovation et plus particulièrement de création d'entreprises, encore très sous-développés à l'heure actuelle dans notre pays.

Les conflits

On a tiré les conclusions de l'affaire Lip. La commission Sudreau reprend certaines des propositions du patronat chrétien et d'Échanges et Progrès (le club animé par Jacques Delors (ancien collaborateur de Jacques Chaban-Delmas) concernant la protection des ayants droit de l'entreprise (salariés, créanciers, actionnaires) contre les erreurs de gestion qui pourraient leur être préjudiciables.

D'abord un coup de brosse : l'amélioration du règlement des conflits du travail. Puis une bombe : la possibilité de saisir le conseil d'administration et, si besoin est, le tribunal « lorsque des éléments concordants et sérieux laissent présager l'existence de difficultés qui peuvent être lourdes de conséquences ». Il y a de quoi faire trembler plus d'un patron. « Admettons que la situation du marché exige la fermeture d'une usine dans une entreprise, faisait récemment observer un dirigeant du CNPF, le comité d'entreprise fait appel de cette décision. Admettons que le président du tribunal de commerce s'oppose à la fermeture. Qui paiera, s'il en résulte un déficit pour l'entreprise ? Pas le tribunal de commerce, ni les pouvoirs publics, ni le comité d'entreprise !... »