En janvier 1975, un rapport de l'Hudson Institute, le célèbre groupe de recherches économiques américain, porte un diagnostic alarmant sur l'état du Royaume-Uni. Constatant que le taux de croissance britannique est le plus faible de tous les pays industrialisés, que « le choc du Marché commun n'a pas été assez fort pour stimuler l'industrie », que le pays supporte ses maux dans une sorte de léthargie angoissante, les experts de l'Hudson Institute concluent que la Grande-Bretagne sera d'ici 1980 rattrapée par l'Italie et la Finlande, et que l'Anglais moyen vivra alors moins bien que la majorité des Espagnols et des Grecs. Et ils ajoutent : « La Grande-Bretagne est aujourd'hui un site archéologique du passé occidental, repaire de survivances et d'anachronismes fascinants et mystérieux. »

Autorité

Harold Wilson, revenu au pouvoir le 4 mars 1974 avec un gouvernement minoritaire, remet son mandat en jeu à l'automne, espérant recueillir auprès des électeurs le bénéfice d'une certaine détente sociale. Le scrutin du 10 octobre ne lui apporte qu'un succès partiel. Certes, les travaillistes, en gagnant 18 sièges et 2,1 % des voix, obtiennent la majorité absolue aux Communes, mais avec une marge étroite de 3 voix. Cette confiance populaire parcimonieuse ne confère pas au Premier ministre une autorité à la mesure de ses responsabilités face aux difficultés qui s'accumulent.

La position de Harold Wilson est d'autant plus précaire que son parti est en proie à des divisions internes de plus en plus graves. Entre la gauche radicale d'Anthony Wedgwood Benn et de Michael Foot, pour qui la crise du capitalisme doit être l'occasion d'un nouveau bond en avant du socialisme étatique, et l'aile modérée, réformiste et pro-européenne, le fond commun travailliste s'est considérablement amenuisé. Quant aux syndicats qui détiennent la tirelire du Labour Party, leur pression est mal contenue par le contrat social conclu au moment de la campagne électorale et qui oblitère toute l'action économique du gouvernement. On verra ainsi les salaires grimper de 30 % au cours de l'année.

Faiblesse

La défaite des conservateurs aux élections du 10 octobre (ils perdent 20 sièges) est fatale à leur leader Edward Heath. Ayant mené la campagne sur le thème « pour faire face à la crise, la Grande-Bretagne a besoin d'un gouvernement de coalition sous l'égide des conservateurs », l'ancien Premier ministre est désavoué non seulement par les électeurs, mais par la droite de son parti. Lors du renouvellement de la direction, six mois après les élections, ses adversaires lui infligent une humiliante défaite : il n'obtient que 119 voix contre 130 à Margaret Thatcher, porte-drapeau de la rébellion. Il ne lui reste qu'à se retirer et à laisser la place à sa rivale. Celle-ci sera brillamment élue au second tour de scrutin par 146 voix contre 79 seulement à son concurrent le plus proche, William Whitelaw. Pour la première fois, une femme devient chef du parti tory. Ce changement ne suffit pas pourtant à redorer le prestige des conservateurs, moins divisés que les travaillistes, mais incertains de leur vocation et partagés entre la fidélité à la tradition et la tentation du centre.

Quant aux libéraux de Jeremy Thorpe, tous leurs espoirs de devenir une sorte de troisième voie se sont évanouis le 10 octobre. Loin d'être confirmés, leurs progrès de 1974 sont gommés par les électeurs : ils perdent plus de 700 000 voix et se retrouvent aux Communes à peine plus nombreux que les nationalistes écossais.

Le bipartisme et les institutions qu'il reflète apparaissent encore étonnamment solides dans ce royaume où la monarchie elle-même est à peine égratignée par la contestation et les mesquines discussions autour de la liste civile de la reine.

C'est dans un climat de malaise que le Premier ministre décide d'organiser un référendum sur l'Europe, le premier de l'Angleterre parlementaire. Cette innovation constitutionnelle recouvre, en fait, une habile manœuvre destinée à museler par un vote populaire l'opposition que rencontre Harold Wilson au sein de son propre parti.

Marché commun

La ratification du traité d'adhésion à la Communauté économique européenne sous le gouvernement d'Edward Heath n'a pas mis fin à la querelle européenne. Au contraire, l'opinion publique a eu tendance à faire du Marché commun le bouc émissaire de tous les malheurs anglais et en particulier de la vertigineuse hausse des prix. Le foyer le plus violent de la controverse s'est peu à peu circonscrit à la gauche du parti travailliste, appuyée par les syndicats, qui mènent une véritable guérilla contre le gouvernement.