Le processus de désagrégation s'est singulièrement accéléré au cours des derniers mois, après les premières grandes vacances qu'ait connues l'Espagne depuis les années 30 : l'hospitalisation du général Franco, le 9 juillet 1974, et l'inquiétante évolution de son état, qui devait aboutir, le 19 juillet, à la passation dramatique des pouvoirs du vieux caudillo au jeune prince d'Espagne, son successeur désigné, révélaient brutalement aux Espagnols les imminences de l'après-franquisme et ses incertitudes.

Immédiatement, tandis qu'entre l'hôpital où était supposé agoniser le généralissime et le palais de la Zarzuela, résidence de Juan Carlos, chef d'État intérimaire, se déroulait un fantastique va-et-vient des dignitaires du régime, pris de panique, politiciens, hommes d'affaires, responsables de toutes sortes s'efforçaient de regrouper leurs forces afin de mettre sur pied programmes et solutions de rechange.

C'est ainsi que naquit, le 30 juillet, la Junte démocratique, associant le parti communiste de Santiago Carillo, les monarchistes libéraux de Rafael Calvo Serer et les carlistes de gauche. But du nouveau mouvement : « assurer dans les délais les plus brefs le passage de la dictature à la démocratie de façon pacifique » et sans risque pour la communauté nationale. Il invitait les formations politiques « qui ne sont pas encore intégrées à la junte » à la rejoindre, et le peuple espagnol « à se rassembler autour de son programme ».

Répression

Mais, ce même jour, le général Franco sortait de l'hôpital et, le 2 septembre, il reprenait la totalité de ses pouvoirs. Les grandes vacances étaient terminées. La répression n'allait pas tarder à s'abattre : plusieurs membres de la junte étaient arrêtés et traînés devant les tribunaux. Toutefois les dirigeants poursuivaient leur action, lançant, le 20 février, une « journée de lutte pour la liberté », puis trois autres, les 3, 4 et 5 juin, avec l'aide des commissions ouvrières clandestines. Au mois de mars, une délégation de la junte était reçue triomphalement par le Parlement européen de Strasbourg ; et, quelque temps plus tard, le mouvement publiait un appel à « toutes les classes sociales » dans un Manifeste pour la réconciliation.

Cet appel ne fut guère entendu. En effet, les organisations et partis se sont multipliés au cours de cette année. C'est ainsi que l'on a vu apparaître un Congrès démocratique regroupant les forces de centre-gauche hostiles aux communistes, puis une Union sociale démocrate (USDE) ; en revanche, l'ancien ministre Fraga Iribarne échouait dans sa tentative de constituer une association centriste et réformatrice.

Ce grouillement politique, qui atteint parfois une véritable inflation (15 formations dans la seule Catalogne), n'est pas seulement encouragé par la perspective de l'après-franquisme, mais encore par le Premier ministre qui, lors de son accession au pouvoir, avait promis de réaliser une « ouverture politique ». Mais Arias Navarro n'aura guère la possibilité de tenir ses promesses et, quand il présentera, le 2 décembre, l'avant-projet de statut juridique des « associations politiques », la déception sera arrière.

Selon ce texte, l'existence des associations demeure subordonnée au Mouvement (l'ancienne phalange). « C'est un suicide politique », commente avec découragement un libéral à la lecture de ce statut consacrant la victoire des ultras, qui se réconfortent ainsi de leur grande peur de l'été précédent.

Mais de telles restrictions vont exaspérer tous ceux qui espèrent ardemment une libéralisation du régime.

Grèves

Une vive tension se développe, notamment à Barcelone, à Bilbao et dans les Asturies, à l'occasion de la réduction des heures de travail.

Des dizaines de milliers d'ouvriers décident de se mettre en grève (200 000 en décembre au Pays basque) ; à l'université de Madrid, moins de 30 % des journées de cours ont pu se dérouler normalement durant l'année scolaire 1974-75, à cause des incidents continuels, tandis que le malaise gagne les classes moyennes. Le 4 février, pour la première fois, 40 % des petits commerçants madrilènes ferment boutique et plusieurs centaines d'employés de ministères cessent le travail. Dans le même temps, une grève des acteurs paralyse tous les théâtres de la capitale. Analysant cette « subversion des classes moyennes », le directeur du quotidien monarchiste ABC déclare : « Si l'on veut une évolution, et non une révolution violente, il faudra tenir compte de ces mécontentements [...]. Il faut affronter l'avenir avec énergie pour rétablir la stabilité sociale du pays. »