Cependant l'action d'Ankara suscicite le mécontentement des États-Unis. Entretenant de bonnes relations avec la Grèce, apparemment satisfait de la disparition de Mgr Makarios de la scène politique, le gouvernement américain tente, mais en vain, de faire obstacle à l'intervention turque. Washington redoute par-dessus tout un conflit gréco-turc qui provoquerait l'effondrement de l'aile orientale de l'OTAN. Le retrait de la Grèce de l'Organisation militaire de l'alliance atlantique, le 14 août, inquiète le Congrès américain, qui demande à Ankara, le 17 octobre, de faire des concessions « substantielles » à Chypre, en procédant notamment à l'évacuation de ses troupes de l'île.

Malgré l'opposition du président Ford et du secrétaire d'État Henry Kissinger, qui craignent des mesures de rétorsion d'Ankara, le congrès décide de suspendre l'aide militaire à la Turquie a partir du 5 février. Vingt-quatre heures avant l'entrée en vigueur de la mesure, le Conseil national de sécurité, à l'issue d'une réunion extraordinaire, menace de réexaminer la contribution de la Turquie à la défense collective de l'OTAN. Ankara annonce, le 17 juin 1975, que, faute de la levée de l'embargo dans les trente jours qui suivent, les premières mesures seront prises en vue de la suppression de certaines bases américaines implantées en territoire turc.

L'opinion et l'opposition de gauche poussent à une épreuve de force avec les USA. Le haut commandement de l'armée prône la prudence pour éviter une rupture qui porterait atteinte aux défenses de la Turquie.

Le gouvernement cherche néanmoins à diversifier ses sources d'armement et envisage d'acquérir en France des appareils Mirage, ainsi que divers équipements en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne fédérale, au Canada et en Suède.

Ankara tente d'améliorer ses relations avec l'Europe occidentale ainsi qu'avec l'Union soviétique, utiles contrepoids à l'influence américaine. Des assurances sont données à Moscou quant au respect de l'indépendance et de la politique neutraliste de Chypre. En échange de quoi le Kremlin s'abstient de prendre position sur le fond du problème, à savoir le statut constitutionnel de la minorité turque de l'île.

Crise ministérielle

C'est précisément le problème de l'avenir de Chypre qui provoque l'éclatement de la coalition gouvernementale à la mi-septembre. Bulent Ecevit, qui est décidé à ne pas porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'île, se heurte à son partenaire Necmettin Erbakan, leader du Parti du salut national, lequel prône publiquement l'annexion d'une partie de l'île.

Profitant de ce conflit et de divergences dans divers autres domaines, Ecevit présente la démission de son gouvernement le 18 septembre 1974, en escomptant que celle-ci entraînera l'organisation d'élections anticipées. Grand vainqueur du scrutin d'octobre 1973, le Parti républicain du peuple s'était assuré 185 sièges sur 450 ; sa popularité accrue grâce à l'intervention militaire à Chypre, il pouvait espérer la majorité absolue à l'issue d'une nouvelle consultation.

Toutes les autres formations s'étant opposées au retour aux urnes, la crise ministérielle devait se prolonger jusqu'à l'investiture, le 12 avril, par 222 voix contre 218, d'un gouvernement présidé par Suleyman Demirel, chef du Parti de la justice. Le cabinet de coalition, qui regroupe quatre des cinq partis de droite (214 députés au total), n'a obtenu la confiance qu'avec la défection de quelques membres des partis adverses.

La nouvelle équipe, qui comprend plusieurs représentants de la grande bourgeoisie industrielle et des ministres d'extrême droite, favorise une certaine polarisation politique qui se traduit par de violents affrontements entre la droite et la gauche dans les milieux estudiantins. Suleyman Demirel et ses amis, qui s'étaient opposés farouchement à l'amnistie accordée aux prisonniers politiques, en juillet 1974, par le gouvernement Ecevit, s'engagent dans leur programme commun à « lutter contre le communisme et toutes les menées subversives menaçant l'unité nationale ».