La Chine se rapproche de plus en plus du tiers monde ; elle apparaît, à chaque occasion, comme son porte-parole. Ainsi au cours des deux conférences internationales organisées par l'ONU, et qui se soldent par un nouvel affrontement sans issue apparente entre riches et pauvres : la Conférence sur la population ou les dangers de surpopulation (Bucarest) ; la Conférence sur l'alimentation ou les risques déjà présents de famine (Rome).

Du côté des deux superpuissances, constamment dénoncées, l'orage continue à gronder avec l'URSS et la cordialité tiédit avec les États-Unis. Les discussions sur les frontières reprennent à Pékin, mais sans espoir. Moscou a rejeté les propositions de normalisation jugées inacceptables. En novembre 1974, un communiqué de quelques lignes clôt la brève visite du secrétaire d'État Henry Kissinger, qui n'est même pas reçu par Mao : le sort de Taïwan n'est toujours pas réglé (même après la mort de Chang Kaï-chek. De plus, Pékin voit d'un mauvais œil le sommet Ford-Brejnev de Vladivostock juste avant l'arrivée du cher Henry chez ses amis chinois. Seul point concret du communiqué : la confirmation de la visite en Chine, en 1975, du président Gerald Ford.

Avec le tiers monde (l'Afrique, surtout), la diplomatie chinoise vise, cette année, ce que Teng baptise le deuxième monde, dans lequel il classe son pays : les nations prises entre les revendications du tiers monde et les appétits des deux superpuissances. Le meilleur exemple est l'Europe, cible de plus en plus évidente de la sollicitude de Pékin, terrain de manœuvres choisi pour prendre Moscou à revers. L'Europe de l'Est continue d'avoir les faveurs de Pékin : les relations sino-roumaines sont au beau fixe ; le vice-Premier ministre Li Hsien-nien se rend à Bucarest pour s'associer au 30e anniversaire de la libération. Accueillies avec des égards particuliers, les personnalités de l'Europe de l'Ouest se succèdent à Pékin : les ministres des Affaires étrangères suisse et néerlandais, les Premiers ministres danois et belge, deux opposants d'Allemagne fédérale (le leader des chrétiens-démocrates et celui des chrétiens-sociaux de Bavière, Franz-Josef Strauss). Le chancelier Helmut Schmidt convoque l'ambassadeur chinois pour lui demander d'être invité à Pékin. Entre-temps, le vice-ministre des Affaires étrangères, Chiao Kuan-hua (nommé ministre un mois plus tard) rencontre à Bonn son homologue Genscher, et passe par Paris pour dîner chez son collègue français Jean Sauvagnargues. À tous ces interlocuteurs, les Chinois répètent le même plaidoyer : vous devez faire une Europe indépendante des deux hégémonies, ne pas vous fier à la conférence de sécurité que l'URSS veut mener à son profit et, en attendant d'assurer vous-même, le plus tôt possible, votre propre défense, continuer à vous abriter sous le parapluie américain. Couronnement de cette campagne systématique : la Chine annonce, au début de mai 1975, qu'elle envoie un ambassadeur auprès de la Communauté économique européenne. Quelques jours plus tard, une délégation chinoise d'une vingtaine de personnes, dont le ministre des Affaires étrangères Chia Kuan-hua, présidée par Teng Hsiao-ping, numéro 3 du régime, arrive en France pour une visite de cinq jours. C'est la politesse rendue à la visite du président Pompidou à Pékin, le 11 septembre 1973 (Journal de l'année 1973-74), et à la visite surprise de son successeur Valéry Giscard d'Estaing à l'ambassade de Chine en France le 1er octobre 1974, jour de la fête nationale et du 25e anniversaire de la République. Invités par Teng, le président Giscard d'Estaing et le Premier ministre pourraient se rendre à Pékin en 1976. Le ministre des Affaires étrangères Jean Sauvagnargues ira à Pékin cette année pour honorer la décision prise à Paris : établir des consultations régulières au niveau des ministres des Affaires étrangères. Pendant sa visite en France, Teng Hsiao-ping visite une ferme modèle, le surgénérateur nucléaire Phœnix et les usines Berliet, fournisseur de la Chine depuis dix ans. On y espère une nouvelle commande de 1 000 camions. De Concorde on ne parle plus. Pas même de l'Airbus. De toutes façons, à l'ambassade de France à Pékin, le service commercial assure la liaison même si l'ambassadeur a changé : Étienne Manac'h, parti en retraite, est remplacé par Claude Arnaud.

L'armée purgée

Décapitée depuis quatre ans, après la disparition de Lin Piao et du quarteron de ses chefs suprêmes, l'armée doit tourner la page de la nostalgie. À sa tête reconstituée, Chou En-lai a placé non seulement des alliés personnels, mais des dirigeants du parti et du gouvernement. Le nouveau ministre de la Défense, successeur de Lin Piao, est le maréchal Yeh Chien-ying, 76 ans, vétéran de la Longue Marche, compagnon de jeunesse de Chou En-lai. Il est aussi vice-président du parti. Plus claire encore est la nomination de deux civils, tous deux vice-Premiers ministres, pour commander aux militaires et les maintenir dans la ligne. Respectivement numéro 1 et numéro 2 de l'armée, Teng Hsiao-ping, chef d'état-major général, est déjà vice-président du parti, et Chang Chun-chiao, chef du département de politique générale de l'armée, est déjà membre du Comité permanent du parti. La prise du parti et du gouvernement sur l'armée est directe. C'est la dernière touche à la mise au pas des soldats contestataires, amorcée l'année précédente par de nombreuses mutations de commandants militaires de provinces et par la nomination d'un commandant de l'armée de l'air et de quatre chefs adjoints de l'état-major, dont deux réhabilités après avoir été écartés par la révolution culturelle. Comme les deux vieux chefs Yeh Chien-ying et Teng Hsiao-ping.