Le président demande aux députés d'approuver l'octroi d'une assistance supplémentaire de 222 millions de dollars au gouvernement républicain khmer. « Allons-nous, dit-il dans son message, abandonner délibérément un petit pays au moment où il se bat pour son existence ? » Le secrétaire d'État, dans une conférence de presse tenue le même jour, considère que l'aide financière et militaire au Viêt-nam du Sud doit être à tout prix maintenue à un niveau suffisant, et souligne que la chute de cet allié aurait les conséquences les plus graves pour la politique étrangère des États-Unis. Évoquant la théorie des dominos chère à John Foster Dulles « dont il est de bon ton aujourd'hui de se moquer », Henry Kissinger admet que ses compatriotes soient las de cette guerre, mais ajoute que « céder à l'humeur du moment peut ultérieurement entraîner de profonds regrets ».

Le 26 mars, alors que la perte de Hué vient de porter un coup très grave au gouvernement Thieu, Kissinger invite de nouveau le Congrès à ne pas laisser « détruire délibérément un allié en lui refusant son aide au moment où il est à la dernière extrémité ».

Toutes ces déclarations se heurtent soit au scepticisme, soit à l'apathie des parlementaires et de l'opinion publique. Pour ce qui est de l'Indochine, la plupart des Américains, manifestement, ont tourné la page. Préoccupés avant tout par la crise économique dont leur pays est victime, tentés par un retour à l'isolationnisme, ils ne sont plus disposés à consentir de nouveaux sacrifices pour éviter au Viêt-nam du Sud et au Cambodge de basculer dans le camp communiste.

Sans trop y croire, Gerald Ford invite encore le Congrès, le 10 avril, à voter une aide militaire de 722 millions de dollars pour le Viêt-nam du Sud. Sa requête n'est pas approuvée. Seul le sort de quelques milliers d'orphelins vietnamiens destinés à être adoptés aux États-Unis parvient à attendrir ses concitoyens. L'installation dans le pays de 130 000 réfugiés vietnamiens ou cambodgiens donne lieu à des manifestations d'hostilité ou de mauvaise humeur. Ni l'entrée des Khmers rouges à Phnom Penh le 17 avril, ni la démission de Thieu le 21, ni la chute de Saigon le 30, ni les opérations d'évacuation par pont aérien ne sont ressenties avec une émotion particulière par la majeure partie des Américains. Dès le 23 avril, le président Ford en a pris acte : « Les événements d'Indochine (...), si tragiques qu'ils soient, n'annoncent ni la fin du monde ni celle du rôle directeur de l'Amérique dans le monde. »

My-Lai : dossier classé

Le lieutenant Calley, l'un des instigateurs du massacre de My-Lai (Viêt-nam du Sud), est un homme libre. Ainsi se termine discrètement une affaire qui a secoué l'opinion américaine pendant plusieurs années (Journal de l'année 1969-1970 et 1970-71). Le rapport de la commission d'enquête militaire, établi en 1970 (et tenu secret jusqu'en novembre 1974), est pourtant accablant : 30 soldats sont reconnus coupables du massacre, le 16 mars 1968, de 347 civils vietnamiens (vieillards, femmes, enfants) exécutés froidement dans des conditions atroces. Seize militaires seulement sont poursuivis, et quatre passent en jugement. Seul le lieutenant Calley, reconnu coupable de « meurtre avec préméditation » sur 22 villageois, est condamné à la prison à vie, le 29 mars 1971. Après une mise en liberté surveillée décidée par le président Nixon (1er avril 1971), sa peine est réduite à vingt ans, puis à dix ans de détention. Depuis le 8 novembre 1974, par décision de la cour d'appel fédérale de La Nouvelle-Orléans, Calley est libre.

Dissensions

À Washington, en tout cas, le drame indochinois contribue à aviver les divergences entre le chef de l'exécutif et la majorité du Congrès (seule la récupération par les marines, le 15 mai 1975, du cargo Mayaguez, arraisonné par les Khmers rouges, fait l'unanimité des parlementaires derrière le président). La lune de miel entre Gerald Ford et les membres du Congrès, en août 1974, a été de courte durée.

L'amnistie de Richard Nixon par G. Ford constitue un premier motif de friction entre les deux pouvoirs. Stimulée par les résultats des élections de novembre, l'opposition démocrate va s'en prendre ensuite de façon constante à la politique économique du président, contestant ses choix et rejetant ses programmes.