Journal de l'année Édition 1975 1975Éd. 1975

L'inflation est restée très vive pendant toute la période, puisqu'au printemps 1975 (par rapport au printemps 1974) la hausse des prix était encore de plus de 20 % en Grande-Bretagne et en Italie, de 14 % en Belgique, de 12 % en France, de 10 % aux États-Unis et aux Pays-Bas et de 6 % en Allemagne. Mais on enregistrait cependant une nette décélération, la hausse mensuelle revenant au-dessous de 1 % par mois dans la plupart des pays durant le printemps 1975, sauf en Grande-Bretagne où elle était encore de 4 % par mois !

Cette flambée des prix (elle aussi sans précédent depuis la guerre) a conduit tous les gouvernements à prendre des mesures d'austérité d'autant plus brutales qu'elles étaient plus tardives. La plupart du temps les pouvoirs publics ont agi sur les prix indirectement, par le détour des restrictions de crédit qui devaient d'abord freiner la consommation et la production, puis, par ce moyen, tempérer l'inflation. C'est ainsi que l'on a vu les taux d'intérêt (qui ne sont rien d'autre que le prix de l'argent) atteindre des sommets dans le courant de l'année 1974. En juillet, le taux d'escompte était supérieur à 10 % dans quatre pays (en France – où cela ne s'était jamais vu –, au Danemark, en Irlande et en Grande-Bretagne) ; il était de 8 à 9 % ailleurs, et nulle part il n'était inférieur à 5 %, taux jugé pourtant élevé dans les années antérieures.

Privés de crédit, les entreprises ont cessé progressivement d'acheter des machines, et les particuliers d'acheter des logements et des voitures. L'ensemble de l'appareil de production s'est contracté. Les firmes ont arrêté l'embauche, puis elles ont réduit les horaires de leur personnel et, finalement, elles ont débauché. Au bout du chemin il y avait, inéluctablement, le chômage.

Prix et revenus

Ces politiques restrictives (dont le plan Fourcade de juin 1974 a été la version française) ont donc attaqué l'inflation en levant une armée de chômeurs. C'est cette dernière qui a tempéré les prix en Occident et qui a même fait légèrement reculer le prix du pétrole en Orient.

Une autre politique (moins dangereuse pour l'emploi) était concevable. Elle aurait consisté à attaquer l'inflation directement, en agissant sur les prix et les revenus, en bloquant les uns et les autres ou en négociant avec les entreprises et les syndicats des accords qui auraient permis de ralentir progressivement la hausse des prix et des revenus. Mais les gouvernements en place (souvent élus de justesse, comme en France et en Grande-Bretagne, ou déconsidérés comme en Italie et aux États-Unis) n'avaient pas l'autorité suffisante pour réussir de telles opérations, toujours délicates à mener. Harold Wilson s'y est essayé en Grande-Bretagne, en tablant sur les relations existantes entre son parti et les syndicats. Ce fut un échec retentissant ; au printemps 1975, la Grande-Bretagne est le pays occidental où la hausse des prix et des salaires est la plus forte !

L'armée de chômeurs a donc été l'ultime recours des gouvernements contre la hausse des prix. Le tassement de la production dans le monde a provoqué un retournement sur la plupart des marchés des matières premières, où les prix ont été multipliés par deux, par trois et même par quatre l'année précédente. C'est ainsi qu'entre janvier 1974 et mai 1975 le cacao a baissé de 28 % ; le plomb, le zinc, le blé, le cuivre, la laine et le coton d'environ 40 % ; le caoutchouc, de plus de 55 %.

Consommation réduite

Et le pétrole ? Eh bien, il a eu bien du mal à se maintenir sur les sommets atteints au début de 1974. Certes, officiellement, le prix du baril à la production n'a pas été réduit. Mais la crise économique, en provoquant une chute de la demande de produits pétroliers, a pesé quand même sur les cours. Elle a surtout lézardé le front des pays exportateurs. Ceux qui vendaient leur pétrole le plus cher, parce qu'ils étaient les plus proches des pays consommateurs, ont vu leurs livraisons s'effondrer. Ce fut le cas en Iraq, en Libye et en Algérie. C'est ainsi qu'au premier trimestre 1975 les achats de pétrole de la France en Algérie ont diminué de moitié, plaçant l'économie algérienne dans une situation très délicate. Car elle avait décidé de pousser les feux sur l'industrialisation, augmentant considérablement ses achats à l'étranger, notamment en France. Dans ces conditions, le déficit des échanges entre la France et l'Algérie, au détriment de ce pays, a pris des proportions inquiétantes. Le gouvernement d'Alger a profité d'un contrat d'achat de camions à la Régie Renault, au printemps 1975, pour lancer un coup de semonce. Le contrat a été suspendu parce que le pétrole qui servait à payer les camions risquait d'être bradé sur le marché mondial, c'est-à-dire de peser sur les cours.