Troupes égyptiennes et syriennes déferlent à travers les lignes du cessez-le-feu ; des vagues de bombardiers se succèdent pour pilonner les positions israéliennes ; des centaines de paracommandos sont largués à des points stratégiques. Les forces arabes ne se heurtent à aucune résistance sérieuse. À la tombée de la nuit, la ligne Bar-Lev, réputée imprenable, ainsi qu'une quarantaine de points fortifiés sont assiégés, neutralisés ou occupés par l'armée du président Sadate. Et pour cause : ce mur infranchissable est défendu par 600 hommes à peine... qu'on avait oublié d'alerter. À l'extrémité nord d'Israël, les kibboutzim et les nahalim (implantations agricoles paramilitaires) du Golan se rendaient les uns après les autres aux forces du général Assad.

Reconquêtes

La victoire arabe paraissait acquise. En moins de quarante-huit heures, le Golan, le canal de Suez avaient été reconquis, tandis qu'Israël mobilisait ses réservistes, dépêchait des troupes sur les deux fronts, dans une confusion qui frisait l'anarchie.

Les Arabes disposaient de divers avantages dont ils avaient tiré le plus grand profit : l'effet de surprise ; la supériorité écrasante, en nombre, de leurs effectifs ; une panoplie d'armes nouvelles que leur avaient livrées les Soviétiques ; l'entraînement intensif auquel ils avaient soumis leurs troupes depuis la défaite de 1967 ; l'efficacité de leurs services d'action psychologique.

Contrairement à 1967, en effet, la propagande officielle du Caire et de Damas, les thèmes développés par l'ensemble des mass media tendent au même objectif : donner au combattant une raison valable, à ses yeux, de sacrifier au besoin sa vie. Il ne s'agit à aucun moment de libérer la Palestine du sionisme, but certes honorable mais néanmoins abstrait. La guerre d'octobre 1973 est placée sous le signe du patriotisme local ; elle est déclenchée uniquement pour reconquérir les territoires occupés en 1967, pour récupérer le « sol sacré » du Sinaï et du Golan, pour rétablir l'intégrité territoriale, l'indépendance et la dignité nationales de l'Égypte et de la Syrie.

Opérations

Sur le plan opérationnel, trois facteurs ont permis aux états-majors du Caire et de Damas de réduire le fossé technologique qui séparait les forces israéliennes et arabes. Le niveau culturel de ces dernières a été relevé en incorporant massivement des jeunes ayant accompli leurs études secondaires ou universitaires. L'Union soviétique a fourni un armement tout à la fois perfectionné et aisément maniable, comme les fusées portatives Sam-7, ainsi qu'un système de défense aérienne qui a permis de paralyser dans une grande mesure l'aviation israélienne. C'est ainsi que 80 % des appareils perdus par Israël ont été abattus non pas au combat, mais par des rampes de fusées Sam-6, installées le long du canal de Suez et autour des principales villes syriennes. Le nombre, enfin, des hommes et la quantité d'armement (avions, chars, pièces d'artillerie) mis en œuvre ont contribué à accabler l'armée israélienne dans les premiers jours de la guerre.

Cependant, Tsahal s'est ressaisie sur le front du Golan, où l'essentiel de l'effort a été porté en priorité, dès le 8 octobre. Une contre-offensive lancée ce jour-là permet de repousser les forces syriennes, le 10 octobre, au-delà des lignes du cessez-le-feu. Tandis que l'aviation du général Dayan soumet à des bombardements intensifs les installations pétrolières, portuaires et électriques ainsi que les réseaux de communication de la Syrie, Tsahal progresse en direction de Damas.

Curieusement, l'armée égyptienne ne tente pas, entre-temps, de tirer profit d'une situation qui lui est particulièrement favorable. Au lieu de poursuivre son offensive, de foncer à travers le Sinaï (où les défenses israéliennes demeurent encore vulnérables) afin d'occuper les cols de Mitla et de Giddi, voire la ville côtière d'El-Arish, elle marque le pas après avoir établi son contrôle sur une bande de territoire de dix à vingt kilomètres sur la rive orientale du canal de Suez.

Contre-offensive

Tel aurait été l'ultime objectif stratégique fixé à la veille de la guerre par l'état-major du Caire, qui pensait que le franchissement du canal de Suez et la conquête de la ligne Bar-Lev aurait coûté trop cher pour autoriser un plan de reconquête plus ambitieux.