Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

Dans l'épreuve, on aurait pu penser que les Européens serreraient les rangs. Comme ce fut le cas en 1956 au moment de la nationalisation du canal de Suez par le colonel Nasser. C'est le contraire qui se produisit ; sous le choc de l'événement, l'Europe se débanda au lieu de s'unifier. La France, pour ne pas se brouiller avec les Arabes, refusa de venir en aide aux Pays-Bas et, accessoirement, à l'Allemagne, plus gênés qu'elle par l'embargo décidé par les pays producteurs. On se dispute aussi sur le rôle des grandes compagnies internationales de pétrole, dont deux des plus importantes, la Shell et la BP, ont leur siège aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, alors que la France a développé ses propres compagnies nationales avec des capitaux d'État.

Eurodif

Début novembre, au cours d'une réunion des ministres des Affaires étrangères des Neuf, la France réussit à faire adopter une résolution plutôt favorable aux thèses arabes. Mais le cœur n'y était pas et certains commentateurs allèrent jusqu'à parler d'un Munich pétrolier pour donner mauvaise conscience aux pays membres qui s'étaient plus ou moins alignés sur les thèses françaises.

Au sommet européen, réuni à Copenhague les 14 et 15 novembre 1973, le chef de l'État français s'efforça de mettre ses partenaires devant leurs responsabilités et d'ouvrir un dialogue direct entre la Communauté européenne et les pays arabes. Ceux-ci avaient d'ailleurs envoyé sur place leurs représentants, ce qui ne fut pas apprécié de tous nos partenaires. Toutefois, la conférence offrait effectivement aux pays producteurs une « négociation globale » pour une coopération étendue, en vue du développement industriel de ces pays et des approvisionnements stables des pays de la Communauté en énergie, à des prix raisonnables. Malgré cela, les résultats de la conférence furent assez maigres. On parla de « restrictions concertées » dans la consommation d'énergie et de programmes communs pour développer des sources d'énergie de rechange. En particulier, il fut fait mention de la création d'une usine européenne d'enrichissement de l'uranium. Mais, même sur ce point, l'Europe est divisée puisque, d'un côté, la France a décidé de construire une telle usine dans le cadre du projet Eurodif (technique de la diffusion gazeuse), tandis que, d'un autre côté, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les Pays-Bas persévèrent dans un autre projet, de technologie différente (centrifugation).

Réflexes

En décidant de convoquer pour le 12 février, à Washington, une conférence des pays consommateurs de pétrole, les États-Unis vont achever de démanteler le front européen. La France ne veut pas se rendre à la convocation de Washington. Mais ses partenaires entendent bien y aller. Finalement, on trouve un compromis, qui s'effondre dès les premières heures de la réunion. La France est isolée dans son opposition au leadership américain, que ses partenaires acceptent bon gré mal gré.

Sans se décourager, mais sans trop d'illusions, la Commission de Bruxelles poursuit ses travaux sur les problèmes de l'énergie. Elle fait avancer à petits pas l'idée d'une conférence entre les pays européens et les pays arabes. Elle suggère, dans un document de travail, la création d'une agence pour le développement des sources énergétiques en Europe. Cette agence serait dotée de moyens financiers sous forme d'une taxe sur le prix de l'énergie. Il s'agirait en somme de bâtir à l'échelle de l'Europe l'équivalent de ce que fut en France, après la guerre, le Bureau des recherches de pétrole. Mais, une fois encore, on voit réapparaître les divergences d'intérêts entre les pays membres. Les Anglais ne veulent pas engager trop d'argent dans un programme nucléaire alors qu'ils ont le pactole du pétrole de la mer du Nord. Les Allemands ne veulent pas déplaire aux Américains. Les Français se doivent d'être aimables avec les Arabes au moins jusqu'au jour où l'énergie nucléaire tiendra une place importante dans leurs approvisionnements.

Crise financière

Elle n'est évidemment pas née avec la crise pétrolière, mais celle-ci l'a singulièrement aggravée. En effet, brusquement, la plupart des pays européens basculent dans le camp des pays à déficit de balance des paiements, du fait du renchérissement des prix du pétrole. À l'infirmerie de l'Europe, le franc vient rejoindre la livre sterling et la lire italienne. Partout, l'inflation prend des proportions inconnues jusqu'alors. Il en résulte que l'Union économique et monétaire, qui devait être la troisième phase de l'unification européenne, après l'union douanière et la politique agricole commune, dérape avant même d'avoir été véritablement mise en œuvre.

Hémorragies

Le premier janvier 1974 était pourtant un grand rendez-vous. À cette date, l'Union économique et monétaire devait entrer dans sa seconde étape, avec la mise en place d'un fonds de coopération monétaire. Celui-ci aurait été un embryon de Banque centrale européenne, préludant à la constitution progressive d'une véritable monnaie commune. Au lieu de cela, les gouvernements réagissent en ordre dispersé, pour enrayer la hausse des prix et colmater, tant bien que mal (plutôt mal que bien), l'hémorragie des devises.