Les instituts de sondages, lorsque la campagne touche à son terme, doivent déclarer forfait. La marge leur paraît si faible, selon les indications recueillies, qu'ils se neutralisent eux-mêmes en déclarant que les intentions de vote se partagent exactement par moitié : 50 % pour chacun. Le président Poher intervient alors pour demander à l'un des clients de l'IFOP, France-Soir, de ne pas publier un ultime sondage dont les résultats devaient être connus à la veille du scrutin.

L'un des principaux enjeux du duel, ce sont bien entendu les voix gaullistes réunies au premier tour par Jacques Chaban-Delmas. Ce dernier a demandé à ses électeurs de reporter leurs suffrages sur l'adversaire du candidat de la gauche, sans nommer Valéry Giscard d'Estaing, pour lequel Jean Royer, lui, s'est explicitement prononcé. Mais les deux camps, et même les communistes, s'efforcent de séduire l'électorat gaulliste en évoquant à gauche les souvenirs de la Résistance, à droite la caution si longtemps donnée par de Gaulle à son ministre des Finances. Une fraction des gaullistes de gauche choisit Mitterrand, d'autres UDR se taisent, la plupart optent pour Giscard d'Estaing, qui rallie aussi Jean-Jacques Servan-Schreiber et une partie des réformateurs.

Le second tour, le 19 mai, surprend et déçoit tout le monde ou presque. Déçus, parfois abattus, nombre de partisans de François Mitterrand, tant leur avait paru grand l'espoir de succès. Étonnés, déçus eux aussi, parfois inquiets, beaucoup de ceux qui se sont rangés derrière Valéry Giscard d'Estaing et qui escomptaient une nette victoire, trois ou quatre points d'avance au moins. L'écart en effet n'est, très exactement, pour la métropole et l'outremer, c'est-à-dire sur plus de 26 millions de suffrages exprimés, que de 424 599 voix, soit en pourcentage 50,81 % d'un côté, 49,19 % de l'autre. Ainsi une mobilisation sans précédent dans l'histoire électorale française, une campagne vigoureuse, un incontestable effort de loyauté dans le débat puis dans le scrutin, une option en définitive bien tranchée, tout cela aboutit à une réponse qui, certes, n'est pas contestée, mais qui demeure acquise d'extrême justesse.

Cette courte victoire n'empêchera pas le nouveau président de gouverner et n'enlève rien à sa légitimité. Le choc est violent, les reclassements politiques que l'on peut prévoir sont considérables. Pour la première fois, l'homme qui se trouve à la tête de la Ve République n'est pas un gaulliste. S'il doit compter avec les 180 députés UDR, s'il choisit un Premier ministre issu de leurs rangs en la personne de Jacques Chirac, s'il affirme que le changement, le renouvellement, le rajeunissement qu'il entend incarner n'excluent pas une certaine continuité, il est néanmoins parfaitement clair que l'État UDR est mort le 19 mai. Reste à savoir si le gaullisme appartient, lui aussi, au passé ou s'il lui reste un avenir, question qui ne pourra être tranchée qu'avec les élections législatives. Et, de même, toutes les supputations sur la solidité et la pérennité de l'union de la gauche ne sont, en 1974, qu'hypothèses d'école.

Les élections législatives figurent au calendrier politique pour 1978 seulement. Pourtant le nouveau chef de l'État prend un départ extrêmement rapide. Le choix de ses ministres signifie qu'il veut d'abord rassembler et renforcer le courant qui l'a porté au pouvoir : ainsi fait-il une très large part au Centre démocrate et aux Réformateurs et installe-t-il au ministère de l'Intérieur son plus fidèle lieutenant, Michel Poniatowski. Il entend diriger quasi directement l'action du gouvernement : la nomination de hauts fonctionnaires comme ministre des Affaires étrangères et des Finances le montre. Et plus encore l'épisode singulier que constitue, après onze jours au poste clef de ministre des Réformes, le renvoi de Jean-Jacques Servan-Schreiber, coupable d'imprudences verbales sur l'arme nucléaire.

Le président s'efforce de rajeunir, de faire aux femmes une place importante, de multiplier les gestes symboliques visant à désacraliser le pouvoir suprême, à détendre le climat. Et il ne s'agit pas seulement de faire du chef d'État un homme comme les autres ; l'attention portée aux travailleurs immigrés et aux détenus des prisons, l'abaissement de l'âge du vote et de la majorité civile à 18 ans, la suppression des écoutes téléphoniques et de toute censure constituent autant de gages d'une politique d'ouverture et de libéralisme.