François Mitterrand fait une campagne ardente et vigoureuse dans laquelle l'homme, au fil des jours, masque de plus en plus le programme commun. Ses alliés communistes le soutiennent avec leur efficacité habituelle, mais aussi avec une discrétion extrême, un souci très visible de ne pas le gêner ni le compromettre. La force du candidat de la gauche réside visiblement dans la promesse de profonds changements qu'il représente. Sa faiblesse relative tient à la compétence d'esprit reconnue à son adversaire principal, le ministre de l'Économie et des Finances, et, au début surtout, à l'insuffisance de l'argumentation qu'il lui oppose dans le domaine de sa compétence. Son principal handicap, et il le portera jusqu'au bout, c'est la participation à ses côtés des communistes au pouvoir, perspective qui continue d'effrayer une fraction de l'électorat.

Valéry Giscard d'Estaing a choisi de faire une campagne digne et adroite. Il met en définitive moins l'accent sur la stabilité et l'ordre que sur la nouveauté et la jeunesse. Il ne cesse guère de marquer des points et gagne ainsi jour après jour du terrain dans les sondages, démentant la thèse qui voulait qu'un candidat à la présidence soit le représentant d'un des très grands partis. À ses côtés, Jean Lecanuet, qui s'est engagé à fond en sa faveur, s'efforce d'attirer l'électorat centriste.

Jacques Chaban-Delmas fait front jusqu'au bout, non sans courage, à la mauvaise fortune. Il a d'abord été victime de sa précipitation, jugée excessive et qui a choqué ; puis des divisions et de la dérobade d'une partie de l'UDR et de plusieurs de ses dirigeants. La machine du mouvement gaulliste grippe. Le candidat lui-même déçoit : ses propos sonnent creux, son programme paraît flou et peu consistant. Une campagne de dénigrement et bientôt de calomnie aide à le disqualifier. Le mouvement de recul qu'il amorce dans les sondages ne cessera de s'amplifier au rythme même où s'élève le score de Valéry Giscard d'Estaing.

Au soir du 5 mai, une double surprise : d'abord, le résultat obtenu par François Mitterrand est légèrement inférieur à ce que beaucoup prévoyaient, à ce que lui-même espérait ; chacun convenait en effet qu'avec 46 ou 47 % des suffrages exprimés le candidat de la gauche aurait eu les meilleures chances de l'emporter au second tour. Ensuite, le quasi-effondrement de Jacques Chaban-Delmas conforte toutes les prophéties qui annonçaient la chute du gaullisme. S'il n'y a pas de troisième surprise, en ce sens que le chiffre atteint par Valéry Giscard d'Estaing était attendu, il n'en est pas moins clair, d'ores et déjà, que le second tour sera extrêmement serré et la bataille très rude.

Des autres candidats, on retient seulement que Jean Royer n'a pas réussi à s'imposer ; que la seule candidate, Arlette Laguiller, a peut-être été entendue un peu mieux qu'on ne le prévoyait et l'écologiste René Dumont un peu moins bien. Enfin, l'acharnement des gauchistes contre le candidat de la gauche a surpris.

Le second tour (19 mai)

Le duel Giscard-Mitterrand s'engage très vite et très fort. Pour la première fois, un débat de télévision à armes égales oppose deux candidats à la présidence : rencontre à la fois très révélatrice et un peu décevante (mais l'attente était telle qu'il ne pouvait guère en être autrement), dont on discutera beaucoup l'influence réelle sur l'électorat.

Il n'y aura pas davantage de coups bas, d'incidents personnels ou électoraux, de contestations graves dans cette seconde partie de la bataille qui, toutefois, traîne un peu en longueur. Les deux adversaires font l'un et l'autre une campagne digne, nette et d'un bon niveau. Si François Mitterrand s'efforce de caractériser son adversaire comme le représentant de la droite et de présenter la compétition comme une lutte droite-gauche des plus classiques, Valéry Giscard d'Estaing, qui refuse cette analyse, ne cesse d'accuser son concurrent d'être un « homme du passé », de ne parler que des années écoulées, par crainte de l'avenir. Les arguments échangés ne sont pas nouveaux. Quelques promesses, de part et d'autre, allongent la liste des engagements que le vainqueur devra tenir.