Le surcroît de travail et l'émiettement des tâches et des responsabilités, n'étant pas compensés par une hausse des salaires, devaient un jour ou l'autre provoquer la colère des employés. Phénomène d'autant plus inéluctable que jamais le personnel des banques n'a été aussi jeune. Dans certaines agences, 75 % des employés ont moins de 25 ans et au Crédit Lyonnais, sur l'ensemble du personnel de la banque, la proportion approche des 50 %. Le personnel non seulement conteste les conditions de travail, mais remet aussi en cause la hiérarchie des salaires et des postes.

Ce personnel s'organise lui-même au cours de la grève. D'abord, il se souvient de Lip ; de cette nouvelle forme de lutte qui impose aux grévistes de prendre l'initiative et de la garder pour pouvoir négocier en position de force.

Il y a donc occupation des locaux, création de comités de grève qui regroupent syndiqués et non-syndiqués, et création de commissions d'information, de popularisation, etc.

Le conflit s'amplifie courant mars, et finit par concerner près de 300 000 employés de banque qui se découvrent au fil des jours un pouvoir considérable, celui de bloquer une grande partie de l'activité financière, voire de réduire les activités commerciales du pays. Le gouvernement s'en inquiète. Il sait qu'un durcissement du conflit peut être très difficile à remonter.

Après un échec des discussions au sommet avec l'Association professionnelle des banques (APB), c'est vers des solutions diversifiées au niveau de chaque banque que l'on s'oriente, sans d'ailleurs parvenir à des accords au sens juridique du mot. La campagne électorale incite les partenaires à terminer la grève en douceur, sans laisser apparaître officiellement de vainqueurs ni de vaincus.

Droits syndicaux

Pour la première fois, les centrales CGT et CFDT se sont efforcées de développer au niveau national une série d'actions pour la défense du droit syndical. Encore faut-il observer que ces actions se sont trouvées mêlées à des mouvements contre les licenciements ou pour la défense des salaires.

Ainsi la lutte des 95 ouvrières de Cousseau à Cerisay pendant trois mois, à l'automne 1973, pour obtenir la réintégration de leur déléguée syndicale, portait à l'origine sur le treizième mois et se traduisait par une réduction volontaire des cadences (en juillet), mais son objectif principal est devenu ensuite la réintégration de la déléguée, puis celle des 27 militantes et déléguées CFDT licenciées.

Le débat CGT-CFDT

Ce serait une erreur de perspective de considérer que l'année 1973-74 s'est caractérisée uniquement par des conflits d'entreprises d'octobre à avril, puis par des grandes manœuvres électorales au niveau des états-majors après le décès du président Pompidou. En fait, s'il est vrai que les conflits d'entreprise ont connu une accalmie à partir du printemps, le débat sur la stratégie syndicale a été constant depuis l'automne, surtout entre la CGT et la CFDT.

Même si le regroupement des deux confédérations autour du programme commun laisse l'impression que les deux grandes confédérations font converger leurs tactiques aux temps forts de l'action, il convient de marquer combien la pratique quotidienne fait apparaître deux conceptions différentes.

L'une, celle de la CGT, souligne les vertus de l'action de masse, disciplinée, respectueuse de consignes élaborées par les structures dirigeants de l'organisation ; l'autre, celle de la CFDT, est d'abord à l'écoute de la base, d'une base souvent plus neuve dans le mouvement ouvrier. L'organisation élue pour diriger ce syndicat ne tente pas d'imposer des mots d'ordre, au contraire elle colle aux revendications nouvelles et adapte chaque jour sa stratégie aux pulsations ainsi révélées.

Certes, cette analyse est partielle et il serait trop simple de dire que la CFDT est le contraire de la CGT. La CFDT ne manque pas d'un projet politique propre à l'ensemble de l'organisation. Mais ce projet, le socialisme démocratique et autogestionnaire, est encore en voie de définition. Il n'est pas une donnée de base.