Notons (c'est important) que la demande est restée longtemps languissante, alors que les chefs d'entreprise avaient fourni d'importants efforts d'investissement. Ils se trouvaient donc dans la situation énoncée plus haut : capacités de production sous-employées, prix faibles, marges étroites ou nulles. D'où leur nouvelle stratégie : rendre le marché acheteur en limitant l'accroissement des investissements en deçà des progrès de la demande. C'est précisément ce qui s'est produit : l'augmentation annuelle des capacités mondiales de production de pâte plafonne à 2,5 % tandis que celle de la demande dépasse 6 %. Il n'en faut pas plus pour que le prix des pâtes (bon marché au cours des années 60 alors que le marché était vendeur) enregistre depuis le printemps 1973, et surtout en 1974, une ascension vertigineuse. Le prix du papier suit, bien entendu, une évolution parallèle puisque le prix de la pâte intervient pour moitié dans son coût de revient. À cela s'ajoute l'incidence de tous les autres éléments de l'inflation : hausse des transports (décisive dans le cas de produits pondéreux), des salaires, de l'énergie, et répercussion des mesures antipollution.

Solutions

Vu du côté français, est-il possible de réagir et comment ?

Première possibilité : limiter la dépendance vis-à-vis de l'étranger ; par exemple, exploiter à fond les ressources nationales (la forêt française est l'une des plus vastes d'Europe) et activer simultanément le reboisement. Pour le moment, seule la Cellulose du Pin (numéro un français des pâtes à papier avec 1,4 milliard de chiffre d'affaires) pratique cette politique et contrôle ses matières premières.

Un autre moyen serait d'obtenir des concessions forestières à l'étranger, notamment en Afrique, très bien dotée à cet égard. Mais il faudrait alors compter avec les aléas politiques d'une telle tentative. Miser sur les pays sous-développés est délicat, au moment où le tiers monde tente précisément de contrôler de plus en plus étroitement ses propres ressources.

Deuxième possibilité : le recyclage systématique des vieux papiers. Pour le moment, 30 % des vieux papiers sont recyclés, alors que ce taux pourrait être porté à 40 ou 45 % en récupérant non seulement les déchets industriels, mais aussi les ordures des particuliers. On pourrait de surcroît freiner et même interdire les exportations de vieux papiers (même les Suédois s'approvisionnent chez nous).

Troisième possibilité : produire des papiers de plus en plus sophistiqués afin de diminuer la part relative des matières premières. Là, la France a de bons atouts. La société Charfa s'est spécialisée avec succès dans les sacs indéchirables, la caisse en carton et le carton ondulé. De son côté, la société Aussedat-Rey tire ses bénéfices d'une diversification dans les papiers-décors. La société Arjomari-Prioux, elle, a délaissé depuis longtemps les papiers ordinaires pour fabriquer des papiers couchés de grande qualité (magazine de luxe), des papiers spéciaux industriels (isolateurs, abrasifs), des papiers décors et des papiers fiduciaires (billets de banque, titres et obligations). Dans ce dernier créneau, elle est même le no 2 mondial de la spécialité.

Quatrième possibilité, enfin : l'innovation. Deux voies sont ouvertes. L'une reste dans le domaine des fibres cellulosiques naturelles (il s'agit de développer des plantations comme la canne ou le roseau dont on n'a, jusqu'ici, jamais songé à tirer parti sur une grande échelle). Des tests ont déjà été faits en Provence, mais les premiers résultats ne sont pas convaincants. Autre voie : trouver une matière première nouvelle, par exemple le plastique. Pour l'emballage, la concurrence du plastique est déjà une réalité. Le renchérissement du pétrole risque de freiner la percée du plastique en tant qu'erzatz du papier. Pour les papiers impression-écriture, on est encore loin du compte.

Perspectives

Quoi qu'il en soit, ces différents palliatifs à la crise du papier (si les professionnels les prennent au sérieux) seront longs à mettre en œuvre.