Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

Sa liberté d'action sur la scène internationale se trouve donc limitée. On a calculé que, pour payer le déficit de nos échanges extérieurs dans les prochaines années, il faudrait emprunter 15 à 20 milliards de dollars à l'étranger. Nos réserves de change, en or et en devises, s'élevaient au printemps 1974 à quelque 7 milliards de dollars (davantage, il est vrai, si l'on comptabilisait l'or à son prix de marché et non pas à son cours officiel).

Emprunter

Pour emprunter, il faut avoir bonne réputation. C'est vrai pour une nation comme pour un particulier. La France est donc contrainte de resserrer sa politique intérieure afin d'apparaître comme un débiteur sérieux. Ces emprunts internationaux posent d'ailleurs de nombreux problèmes. En période de changes flottants, on ne sait pas à quel taux de change on remboursera les devises ainsi empruntées ; c'est un risque que bien peu d'entreprises peuvent courir, et, en l'occurrence, ce sont donc les États qui doivent emprunter.

Il en résulte de délicats problèmes politiques. C'est ainsi que la France ne peut pas s'endetter directement auprès de l'Allemagne (qui regorge de devises), car l'opinion publique n'accepterait pas cette subordination de Paris à Bonn ; c'est là une des raisons pour lesquelles le gouvernement français a intérêt à une relance de la politique européenne. Quant à emprunter auprès des pays arabes, ce n'est pas si simple non plus.

Les Arabes ne veulent prêter de l'argent que pour quelques mois, alors que les pays européens ont besoin d'argent pour plusieurs années. Si bien que le monde regorge actuellement de disponibilités à court terme, alors que les besoins de financement sont à long terme. À chaque instant la chaîne des débiteurs risque de s'effondrer devant un créancier pressé de récupérer son argent.

Risques

Il n'y a que trois issues à cette situation pleine de périls. Ou bien les Européens donnent suffisamment de gages (de l'or, des industries, des terrains) aux producteurs de pétrole pour que ceux-ci placent leur argent de façon durable chez eux. Ou bien des institutions internationales reconnues par tous (Communauté européenne, Fonds monétaire international, Banque mondiale) servent de caution : elles empruntent aux uns pour prêter aux autres. Ou bien les rapports entre consommateurs et producteurs de pétrole se transforment en affrontement violent parce que les pays riches ne peuvent pas, politiquement, prendre le risque du chômage et parce que les producteurs de produits de base refusent de payer le prix de l'inflation mondiale.

L'année 1973-74 lègue à l'avenir ces questions redoutables. Elles exigeront pour leur solution, sur le plan externe, un progrès de la coopération internationale, en perte de vitesse depuis plusieurs années ; et, sur le plan interne, une plus grande intervention des États dans l'activité économique, au moment où le pouvoir politique est affaibli presque partout. Georges Pompidou décédé ; Edward Heath renvoyé ; Willy Brandt écœuré ; Richard Nixon condamné ; des gouvernements minoritaires (c'est-à-dire ne disposant pas d'une véritable majorité au Parlement) dans sept pays européens sur neuf : c'est dans une telle situation que les peuples exigent de plus en plus d'efficacité de gouvernements auxquels ils consentent de moins en moins d'autorité. Voilà peut-être l'expression actuelle de ce que Soljenitsyne appelle « une maladie de la volonté chez les peuples nantis ». L'inflation est aussi un mal des âmes.