Le ton s'aigrit entre gaullistes et giscardiens à propos de la lutte contre l'inflation, de la politique étrangère, des écoutes téléphoniques, bref de tout et n'importe quoi. Aux assises UDR de Nantes, à la mi-novembre, les triomphateurs sont Michel Debré et Jacques Chaban-Delmas, tandis que Pierre Messmer et Jacques Chirac, qui plaident en faveur du pompidolisme sont moins bien accueillis. À l'Assemblée, le gouvernement essuie en décembre plusieurs échecs : sur les dispositions qui accompagnent l'octroi de la qualité d'ancien combattant aux militaires ayant servi en Algérie, sur le projet de loi relatif à l'avortement, qui est renvoyé en commission. La découverte d'un système permanent d'écoute des conversations dans les futurs locaux du Canard enchaîné provoque de vifs affrontements entre le pouvoir, qui nie toute participation d'un service officiel à l'opération, et l'opposition, qui accuse les polices, parallèles ou non, tandis que les débuts de l'enquête paraissent lui donner raison. Pour couronner le tout, P. Messmer est attaqué par la presse : l'hebdomadaire Le Point imprime en couverture, le 17 décembre : « Messmer doit partir ». L'Express à son tour annonce que, pour remplacer le Premier ministre, Georges Pompidou a choisi Valéry Giscard d'Estaing. Ce sont là des épisodes de la rude compétition que se livrent dans l'ombre, autour du président virtuellement condamné, les candidats à la succession.

Le Premier ministre puis Georges Pompidou lui-même s'efforcent de reprendre en main la majorité. L'année s'achève néanmoins dans un climat d'inquiétude et de découragement. Le pouvoir n'a pas su exploiter son succès électoral du mois de mars, il l'a même compromis avec l'aventure sans conclusion du quinquennat. Il semble hésiter, temporiser, tandis que les crises monétaires et pétrolières demeurent menaçantes. Si l'opinion n'est pas vraiment consciente de la quasi-vacance du pouvoir, si les observateurs continuent en quelque sorte mécaniquement de supputer les changements d'hommes et d'orientation qui pourraient survenir, les milieux dirigeants de la majorité savent bien que des jours difficiles approchent à grands pas, que le président décide de se maintenir ou qu'il se retire. La prudence et la réserve de l'opposition ne sont guère moins frappantes. Tout se passe comme si la classe politique retenait son souffle dans l'attente de grands événements.

La mort du président

Pourtant, deux voyages encore, divers choix et trois questions vont occuper les premiers mois de l'année 1974. Deux voyages : le 24 janvier, à Poitiers, le président de la République trouve encore la force de prononcer deux longs discours, de traiter les problèmes de la région et de l'aménagement. Du 11 au 13 mars, il rencontre à Pitsounda, sur les bords de la mer Noire, Leonide Brejnev : ce sera son dernier déplacement hors de France.

Des choix : la désignation de Roger Frey comme président du Conseil constitutionnel illustre la volonté de maintenir un baron du gaullisme à ce poste clef pour l'interprétation de la Constitution et le contrôle des consultations électorales. Autre choix qui pose plusieurs questions à la fois : celui du Premier ministre. Faut-il en changer et désigner ainsi un dauphin, bien placé pour la succession ? Le maintien de Pierre Messmer est finalement préféré : c'est une solution d'attente qui ne compromet rien et n'engage pas. Le Premier ministre donne donc sa démission le 27 février et il est aussitôt rétabli dans ses fonctions, ce qui lui permet de remanier son gouvernement ; Raymond Marcellin quitte le ministère de l'Intérieur qu'il dirigeait depuis la fin de mai 1968, et Jacques Chirac, chef de file des pompidoliens, lui succède comme s'il s'agissait de préparer une bataille électorale.

Quant aux décisions, elles relèvent de la simple gestion et ne surprennent guère, si elles sont parfois fort commentées. Tel est le cas pour le flottement du franc, mis en œuvre le 17 janvier par Valéry Giscard d'Estaing, pour six mois en principe. Tel est également le cas pour l'attitude intransigeante adoptée par Michel Jobert, dans le débat occidental sur le pétrole, tant à l'égard des États-Unis, lors de la conférence de Washington, le 11 février, que dans les controverses européennes.