Mais, surtout, l'année est marquée par « l'affaire du Canard enchaîné ». Le lundi 3 décembre, passant à 22 h 15 devant les bureaux que le journal satirique doit occuper, 173, rue Saint-Honoré, le dessinateur Escaro aperçoit des faisceaux de lampe électrique dans la pièce destinée à devenir le bureau du directeur. Intrigué par cette activité tardive, il trouve trois hommes en bleu de travail qui lui disent : « Nous installons le chauffage central... », alors que celui-ci fonctionne déjà depuis plusieurs jours. Devant la porte de l'immeuble deux agents (?) correspondent avec leurs collègues par talkie-walkie. Lorsque Escaro, qui est allé prévenir le directeur du journal, Roger Fressoz (André Ribaud), et d'autres collaborateurs du Canard, revient une demi-heure plus tard, les mystérieux ouvriers ont disparu. Mais des lattes de plancher ont été déplacées, des trous rebouchés en toute hâte avec du mastic : l'enquête immédiatement ouverte confirme qu'un mini-central d'enregistrement, assez perfectionné pour durer plusieurs années, devait être mis en place pour espionner la rédaction du Canard.

Qui a agi ? Des agents trop zélés du contre-espionnage ? Est-ce une opération délibérée, conçue à un haut niveau, pour museler le Canard ? Alors qu'on va de révélations en révélations sans que la lumière, toutefois, soit encore faite, l'action des poseurs de micros clandestins a des prolongements politiques, surtout après le scandale des écoutes téléphoniques. Ce Watergaffe à la française, s'il est déshonorant, est surtout inquiétant. « Vraiment, on s'habitue à tout, écrit Pierre Viansson-Ponté. Jusqu'au jour où on se réveille en sursaut, un matin à 5 heures, parce qu'on sonne à la porte. Et ce n'est pas le laitier ! »

Autre atteinte à la liberté de l'information : Pékin refuse d'accorder son visa à un reporter de l'Humanité lors du voyage en Chine du président G. Pompidou, et l'Arabie Saoudite procède de la même façon à rencontre d'un collaborateur du Monde (qui ne dissimule pas ses origines juives) lors du voyage du ministre des Affaires étrangères, Michel Jobert.

Mais la liberté de l'information peut-elle aller jusqu'à admettre les éditions pirates de journaux pour défendre certaines causes ? Le problème se pose avec un faux Parisien libéré en faveur du statut des objecteurs de conscience et avec un journal fiction daté du 9 juin 1975, hostile à François Mitterrand, diffusé sous le titre de France-Matin (à un million d'exemplaires) pendant la campagne pour l'élection présidentielle.

Tribunaux

Aussi les tribunaux sont-ils de plus en plus appelés à connaître des affaires de presse. Une cinquantaine de procès sont plaides cette année. L'un d'eux intéresse plus particulièrement la profession : il s'agit de la condamnation par le tribunal de Saint-Lô d'un journal gratuit, à la requête de la Manche libre (Journal de l'année 1972-73). Il lui est reproché de se présenter sous l'apparence d'un périodique, alors que sa finalité est uniquement de diffuser des messages publicitaires, ce qui constitue un véritable plagiat de la presse. En vertu d'une loi promulguée à une époque où les attributions du chef de l'État n'étaient pas ce qu'elles sont devenues aujourd'hui, Henri Smadja, Pierre Bourgeade, Raymond Thévenin, le dessinateur Cabu et Charlie-Hebdo sont condamnés pour « offense au président de la République ». Raymond Marcillac poursuit le Canard enchaîné, l'Humanité, Minute, la Lettre de l'expansion à propos de l'affaire du fichier de l'ORTF. Seul Minute (qui collectionne les assignations en diffamation) est condamné pour avoir employé des termes volontairement blessants et outranciers. Pour la première fois de sa vie, Jean-Paul Sartre est condamné : c'est à la demande de huit collaborateurs de Minute. Marcel Francisci, dont le nom est prononcé à propos d'affaires de drogue, perd les procès qu'il intente au Time et à Politique Hebdo.

Étranger

Le projet de protection des journalistes en mission périlleuse est ajourné, pour la troisième année consécutive, à la prochaine session de l'ONU.