Société

Ce que pourrait être la France de l'an 2000

Comment se dérouleront les trente prochaines années ? À quoi ressemblera le monde que, consciemment ou inconsciemment, nous sommes en train de construire ? Comment s'équilibrera dans l'Hexagone le développement économique ? Sera-t-il possible de planifier l'urbanisation ? Pourra-t-on contrôler et préserver la qualité de la vie ? En un mot, quelle société sommes-nous en train de bâtir ?

« Vers les années 1990-2000, la structure économique et sociale et les institutions semblent très menacées. L'avenir apparaît plus que jamais incertain. On peut se demander alors comment l'État parviendra à assurer la permanence du système socio-économique et politique, et même si cela sera possible. »

Perspectives

Cette description apocalyptique termine un épais volume : Le scénario de l'inacceptable, étude commandée en 1969 par la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar) à l'Omnium technique d'aménagement du territoire (Otam), filiale de la Sema. De quoi s'agit-il ?

La Datar a jugé utile de s'interroger sur la manière dont se distribueraient sur le territoire, dans les dix, quinze, vingt ans à venir, les activités économiques (agriculture, industrie, services) et la population. Cette démarche a été tentée compte tenu de deux hypothèses, qui sont fondamentales pour comprendre le déroulement du scénario :
– les forces en présence (syndicats, agriculteurs, municipalités, etc.) continuent de jouer leur rôle comme actuellement, et l'État, non interventionniste par définition, s'impose comme régulateur lorsque des conflits latents risquent de mettre le pays en danger ;
– le système politique et économique est maintenu.

Comment le scénario (c'est-à-dire l'histoire des trente prochaines années) se déroule-t-il ? Comme une série de tensions apparaissant successivement dans les villes, les campagnes, les usines, etc., et qui se résolvent par une action sur les institutions.

La première tension se produit au moment même où le document est rédigé : il s'agit de la crise de l'emploi de 1970.

Les agriculteurs continuent à quitter la terre, mais ne se reclassent pas ; les structures industrielles exigent une qualification qu'ils n'ont pas. Les régions les plus développées (l'est du pays) recueillent en fait l'afflux de main-d'œuvre venu des régions agricoles. Des tensions sociales s'y développent : encombrement de villes mal conçues pour l'accueil, rivalité entre villes pour la suprématie régionale, rejet par la population déjà établie des migrants sans formation professionnelle.

Régionalisation

Les principales victimes de ces tensions économiques et sociales sont l'Auvergne, la Bretagne, l'Aquitaine, régions de départs ; le Nord et la Lorraine, régions d'accueil. Il y surgit une forte contestation des directions d'entreprises, des municipalités, de l'État. Le régionalisme devient un slogan politique de première importance.

Menacé localement, l'État centralisé subit par ailleurs la grogne de l'ensemble des consommateurs, mécontents de payer par des hausses de tarifs la rationalisation de la gestion des entreprises du secteur public (et par conséquent la vérité des prix). Pour éviter la crise, une solution s'impose à l'État : la régionalisation. Pourquoi ? Parce qu'elle lui permet de maintenir une grande partie des tensions au niveau local, en donnant à chaque région les instruments susceptibles de les absorber. La régionalisation, mesure régulatrice, intervient dès 1972.

Que va-t-il en résulter ? Les régions relativement développées absorbent, par leur dynamisme interne, une partie des tensions sur l'emploi. Leurs structures industrielles rajeunissent, les capitaux s'y investissent, la concentration s'y accélère. C'est pour elles une période de boom économique. Au contraire, dans les régions moins développées, les tensions économiques et sociales s'aggravent. Les migrations se poursuivent, la population vieillit. La séparation de la France en deux s'accentue dès 1975. L'État hésite : faut-il soutenir les faibles ou encourager les forts ?