La seconde moitié de 1973 a amorcé une nouvelle rupture de l'histoire contemporaine, avec pour points de départ la guerre du Kippour et la crise énergétique.

Coupure

Mais quels rapports ces événements ou ceux du Chili, du Viêt-nam ou d'ailleurs, ont-ils avec les Églises protestantes ? Pas davantage sans doute qu'avec les autres Églises... mais tout autant. Car, grâce à ces faits souvent tragiques, le monde entier prend brutalement conscience de la question posée à l'Église et tout spécialement à celles, comme les protestantes, qui se réclament de la Parole libératrice : quel est le sens et le pourquoi de notre civilisation, que pouvons-nous faire pour en changer le cours ?

Ainsi le protestantisme, revenant, en ce temps de crise, à sa charte essentielle qui est l'Évangile avec ses exigences, s'est élevé ici et là contre telle politique des pouvoirs séculiers. Et la tension est d'autant plus grande que les gouvernements, glissant vers l'autoritarisme et usant de moyens répressifs, agissent au mépris de l'Évangile et des droits de l'homme.

Dans les Églises, les répliques sont différentes : les conservateurs s'en tenant à la prédication de la conversion et respectant, dès lors, l'ordre établi, les progressistes recevant l'Évangile comme puissance libératrice et voulant renverser cet ordre établi. C'est dire qu'un clivage politique s'est produit au sein des communautés protestantes. Il est cependant des lieux où des protestants ont essayé de vivre simultanément les deux dimensions de la foi.

Taizé

La communauté de Taizé accueille encore, dans le cadre de Semaines internationales (28 septembre-1er octobre 1973), des dizaines de milliers de jeunes venus de partout. Le prieur, le frère Roger, y annonce l'ouverture du Concile des jeunes, au mois d'août 1974. Ce concile inhabituel durera sans doute plusieurs années et essaimera par la suite dans plusieurs pays. La première dimension vécue à Taizé est la dimension verticale de la foi, celle de l'adoration et de la contemplation de Dieu révélé en Jésus-Christ. C'est également à cette dimension-là que sont attachés les jeunes, attirés par ce haut lieu de prière. Pourtant, quiconque suit la préparation de ce concile et lit la Lettre de Taizé se rend compte qu'à partir de cette dimension la majorité des jeunes a pris conscience de la dimension horizontale de la foi, celle qui conduit à des engagements sociopolitiques. Dès lors, les jeunes abandonneront-ils la première dimension pour ne plus considérer que la seconde, ou maintiendront-ils les deux étroitement unies ? Telle est peut-être la grande question posée aux chrétiens de demain.

Riesi

Un autre lieu du monde où une saine tension entre foi et politique est maintenue depuis plus de douze ans est le groupe communautaire travaillant à Riesi, une petite ville sous-développée de Sicile, dans le « triangle de fer » de la Mafia. Là, plus de trente hommes et femmes, animés par le pasteur italien Tullio Vinay, mènent un sévère combat politique, strictement fondé sur l'Évangile. Et, comme ce combat ne peut être conçu qu'avec une vision globale du sous-développement matériel et moral du monde entier, Tullio Vinay s'est rendu au Sud-Viêt-nam pour enquêter sur le sort des prisonniers politiques. Il y est allé au nom de la branche italienne du Comité international de défense de ces prisonniers, avec un prêtre de la Pax Christi italienne, soutenu par les responsables du Conseil œcuménique des Églises (COE) et par ceux de sa propre Église, l'Église vaudoise d'Italie (Chiesa Valdese), qui s'apprête à célébrer le VIIIe centenaire de sa fondation.

Depuis septembre 1973, Vinay n'a cessé de parcourir le monde pour être le porte-parole des 200 000 prisonniers du général Thieu, membres de la 3e composante non communiste et détenus dans des camps de concentration et dans les sinistres cages à tigres, en dépit des accords de Paris (27 janvier 1973). Cette mission comme le combat mené à Riesi même ne sont fondés que sur la dimension verticale de la foi.

Taizé et Riesi ne sont heureusement pas les deux seuls lieux où la foi et ses engagements trouvent leur unité. On peut citer l'attitude courageuse de chrétiens ou dirigeants d'Églises en Irlande du Nord ou en Afrique du Sud contre l'intolérance et la politique raciste dont leurs coreligionnaires sont en partie responsables, et cela au moment (mars 1974) où les responsables du COE sont déclarés « interdits de séjour » en Afrique australe ! On peut même noter l'espoir de libéralisation que suscite chez les chrétiens brésiliens l'installation, le 15 mars 1974, comme président de la République, d'un protestant, Ernesto Geisel.

Oppositions

Cependant, trop souvent, l'État s'est dressé contre des protestants qui voulaient mettre l'Évangile en pratique. C'est le cas en Afrique australe ou dans des États d'Afrique noire comme le Tchad, d'où les missionnaires sont expulsés, ou encore au Chili, où les communautés protestantes ont joué un rôle éminent pour sauver des réfugiés politiques. C'est le cas pour les problèmes d'éthique, aux États-Unis et surtout en Europe, à propos desquels les positions du protestantisme ne coïncident ni avec celles de l'État ni avec celles de l'Église catholique. On a assisté à de graves tensions, un peu partout, à propos du divorce (Italie), de la contraception, de l'interruption de grossesse (France, Allemagne, Autriche, Suisse, etc.).