Autrement dit, la société doit apprendre à respecter non seulement la nature et les produits nécessaires à l'homme, mais elle-même. De toutes les formes de gaspillages, la plus nocive est faite des faux jugements que nous émettons devant notre propre machine, que nous nous révélons incapables de faire fonctionner convenablement.

Complexité

Le premier effort à faire est de compter aussi droit que possible. La comptabilité nationale a été une glorieuse conquête de l'après-guerre, mais ses défauts, sous une rigueur apparente, ont presque compensé ses hautes vertus.

Cette révision des comptes pourrait se faire selon les règles les plus strictes de l'optimation économique et n'éviterait donc pas l'unité monétaire, comme ce serait souhaitable, d'ailleurs, de divers points de vue.

Mais il faut aussi voir au-delà. Comme nous l'avons dit, le choix le plus rationnel ne peut pas éviter toute déperdition. L'observateur de Sirius se demanderait pourquoi nous donnons un journal entier pesant 200 grammes à des centaines de milliers de personnes, dont chacune ne lit souvent que le centième des informations données et parfois beaucoup moins.

Le seul pronostic certain que l'on puisse faire sur la société de demain, le seul absolument, est qu'elle sera de plus en plus complexe, même (sinon surtout) si elle subit de sévères destructions et dommages. À l'enchevêtrement social que personne ne domine, nous ajoutons constamment des innovations techniques et de nouvelles formes de rapports sociaux. Une telle complexité engendre fatalement une baisse de rendement, au sens mécanique de ce mot. Expliquons-nous :

La poulie est une machine extrêmement simple, à rendement très élevé, de l'ordre de 90 % ; autrement dit, 10 % seulement de l'énergie fournie est perdue en frottements ou résistances. Le moteur à explosion, bien plus complexe, a un rendement beaucoup plus faible, de l'ordre de 25 %. Et cependant ne le préférons-nous pas à la poulie ?

Devenant de plus en plus complexe, la machine économique et sociale aura des déperditions de plus en plus importantes par rapport à un maximum concevable, que chacun entrevoit bien dans une petite zone limitée, mais qui échappe, dans son ensemble, à l'entendement ou du moins au gouvernement des choses, pour ne pas parler des hommes.

Cette observation ne vise en rien à conseiller quelque résignation devant les pertes. Il faut, au contraire, s'efforcer à tout moment de limiter les déperditions au minimum. Beaucoup est à faire de ce côté, répétons-le. Mais ce qui importe est que les hommes aient conscience de l'imperfection inévitable, résultat de la complexité. Sinon leur mécontentement ira constamment en s'accroissant, jusqu'à l'instauration d'un autoritarisme absolu, tout au moins sur la pensée, éventualité qui nous paraît encore la plus grave de toutes les déperditions.

Les hausses des matières premières

Le second semestre 1973 et les premiers six mois de l'année 1974 feront date dans les annales mondiales des matières premières et de l'énergie. Et cela pour deux raisons principales :
– la hausse sans précédent des cours de la quasi-totalité des matières premières industrielles et des denrées ;
– la confrontation sur les matières premières et le développement entre pays producteurs et pays consommateurs, en avril 1974, à New York, devant l'Assemblée générale extraordinaire des Nations unies.

Rapports

La crise de l'énergie, la détérioration des balances de paiements des pays industrialisés, la volonté des États-Unis de jouer les chefs d'orchestre d'un nouvel équilibre économique ont remis en question les rapports entre producteurs et consommateurs, ont brouillé l'image immuable d'un tiers monde pieds et poings liés par un ordre mondial instauré et régi par les pays riches.

En un an, la volonté d'indépendance économique de nombreux pays producteurs s'est manifestée dans toutes les directions. Les rapports de force entre pays producteurs et pays consommateurs ont définitivement basculé le jour où l'exemple des pétroliers arabes, bientôt étendu à tous les autres producteurs d'hydrocarbures d'Afrique et d'Amérique latine, a été entendu et compris. En quelques mois (novembre 1973, avril 1974), le Maroc a triplé le prix de ses phosphates, le Zaïre celui de ses minerais métalliques ; le Gabon a annoncé un relèvement du prix de son minerai d'uranium naturel et les producteurs de cacao ont renforcé et unifié leur attitude. Un nouvel accord a été conclu pour le café entre le Brésil, le Portugal et la Côte-d'Ivoire ; d'autres accords vont être signés pour l'étain et le coprah.