La gratuité engendre fatalement un excès de consommation, du moins une consommation supérieure à celle que l'individu aurait décidée si elle s'était faite à ses dépens. Dans divers cas, cette surconsommation peut être considérée comme un avantage. L'exemple de l'enseignement est loin d'être le seul, mais, dans la majorité des cas, la société perd des ressources inutilement. Ceux qui n'en sont pas convaincus n'ont sans doute pas lu le discours prononcé par Fidel Castro le 15 novembre 1973 et publié dans le journal Granma. Reconnaissant loyalement les erreurs commises, il a signalé en particulier que la gratuité de l'eau avait entraîné de tels excès (robinets ouverts partout) qu'il avait décidé de construire une fabrique de compteurs à eau et de les installer. Tout au plus, ajoutait-il, l'eau serait-elle gratuite dans le cadre d'un minimum vital, mais la consommation abusive serait taxée en conséquence. Dans ces conditions, en effet, il ne doit pas y avoir de consommation inutile et le souci social est préservé.

Les tarifs de l'électricité, a ajouté Fidel Castro dans le même discours, ont, eux, été établis trop bas, et il en a résulté un redoutable problème de l'énergie et de devises, qui sera combattu, à l'avenir, par un relèvement des tarifs.

En s'exprimant ainsi, le Premier cubain ne faisait qu'appliquer ce que les techniciens français appellent la vérité des prix. Les consommations abusives du fait de la gratuité sont, en France, moins élevées, mais elles n'en existent pas moins. À titre d'exemple, bien des communes rurales hésitent, par une vieille habitude paysanne, à faire payer l'eau à son prix (certaines gratuités sont même consenties) et cela même dans des régions sèches, où l'eau est rare.

Social

Nous arrivons ainsi à la troisième forme de gaspillage (énoncée plus haut), sans doute la plus importante et la plus multiforme, celle aussi qui se prête aux débats les plus délicats.

Il ne saurait être question ici de passer en revue toutes les déperditions économiques. Chacun peut en signaler dans son champ, et nombreuses sont celles qui échappent à l'observation individuelle.

Nous nous contenterons donc de signaler quelques aspects, sans être loin d'épuiser la question, ni dans son étendue ni dans sa profondeur.

Nous touchons là un domaine particulièrement important ; certaines dispositions économiques, fiscales ou autres, n'assurent pas l'optimation économique, parce que les comptes ne sont pas tenus correctement.

Il en est ainsi de la plupart des nuisances. Comme il ne saurait être question de procéder à une énumération, même très partielle, nous signalerons seulement quatre exemples :
– les ordures ménagères urbaines ;
– le papier ;
– la circulation ;
– le chômage, selon certaines formes en particulier.

Déchets

Nous avons parlé plus haut de la gratuité. L'enlèvement des ordures ménagères n'est pas gratuit, mais établi à forfait, ce qui, du point de vue de la déperdition économique, revient au même.

Les particuliers n'ont, en effet, aucun intérêt à limiter le poids ni le volume de ce qu'ils donnent à ramasser. Ce poids, qui augmente tous les ans et pose aux villes des problèmes de plus en plus difficiles, entraîne de lourdes charges, qui, pour une part, sont le résultat de déperditions.

Dans les conditions actuelles, en effet, la récupération des produits est peu rentable, en particulier pour le papier. D'autre part, l'habitude a été prise de l'emballage perdu et de récipients non consignés, en verre notamment. Les entreprises prouvent, chiffres en mains, que, selon la rentabilité, elles n'ont pas intérêt à reprendre ces récipients ; mais cette rentabilité résulte précisément de la gratuité de tout enlèvement supplémentaire. Si le coût de l'enlèvement pouvait être mis à la charge de l'entreprise, la rentabilité lui dicterait une solution différente, conforme, cette fois, aux intérêts de la collectivité.

Papier

La consommation de papier, c'est-à-dire de forêts, d'énergie, de sueur, de devises, de temps, etc. – sans parler des pollutions, particulièrement importantes dans cette industrie –, augmente constamment, à des fins souvent économiquement sans utilité. Laissant même de côté la publicité du journal, devenue indispensable par un défaut organique d'une dimension considérable, évitant aussi de trop faciles reproches à la paperasserie, nous voyons un grand nombre de consommations sans objet.