Cette période se caractérisera donc par le maintien de l'état de dépendance du monde occidental, particulièrement de l'Europe, à l'égard du Moyen-Orient.

Les deux dernières décennies du XXe siècle verront cependant cette domination se desserrer, à mesure que les efforts de développement des énergies nouvelles porteront des effets massifs. À cette distance, toute prévision devient plus floue, mais il est vraisemblable que le déclin du pétrole commencera à s'amorcer, en valeur relative et peut-être absolue. Dans la meilleure hypothèse, l'énergie nucléaire ne satisfera encore que le quart des besoins totaux. La fin du siècle pourrait donc être marquée par la renaissance, au moins momentanée, des combustibles extraits sous forme solide (charbon, schistes), nécessaires pour assurer la soudure avec une période ultérieure où l'atome libérera définitivement les nations des hasards de la géographie de l'énergie.

Décisions

Quelle est la situation particulière de la France ? Les ressources de son territoire en combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) ne couvrent plus que 20 % de ses besoins d'énergie (alors qu'elles en assuraient encore 50 % en 1955). Leurs possibilités restent très limitées : une révision du plan charbonnier est à l'étude, mais on peu tout au plus espérer ralentir le déclin de la production, tombée de 60 millions de tonnes à 25 millions en quinze ans, en raison de l'épuisement des gisements (sauf en Lorraine) plus encore que de la concurrence du pétrole.

Pour pallier les inconvénients de notre dépendance vis-à-vis de l'étranger, la politique gouvernementale se développe dans trois directions :
– diversifier l'origine des importations. C'est ainsi que pour le gaz naturel notre approvisionnement sera assuré par quatre sources : Pays-Bas, Algérie, mer du Nord et URSS. Pour le pétrole, les compagnies à capitaux français (CFP et Elf) s'efforcent d'étendre leurs périmètres de recherche dans les cinq parties du monde et dans le domaine marin ;
– au Moyen-Orient, qui restera malgré tout notre principal fournisseur, pratiquer une politique de coopération économique avec les pays producteurs, par des accords d'État à État organisant les échanges de pétrole contre des produits manufacturés français ;
– enfin, et surtout, accélérer le développement de l'énergie atomique. La crise pétrolière a été l'occasion pour Électricité de France de prendre le virage décisif. Désormais, pratiquement tous ses investissements nouveaux sont consacrés aux centrales nucléaires. On estime ainsi que l'atome fournira, en 1980, 30 % de l'électricité consommée en France, et 75 % en 1985.

Le 6 février 1974, Électricité de France annonce la mise en chantier de 6 centrales nucléaires en 1974, et 7 en 1975.

Gigantesque

Une cinquantaine d'usines de 1 000 mégawatts, coûtant chacune 1,2 milliard de F, vont être commandées d'ici à 1980 ; elles permettront d'économiser quelque 30 millions de tonnes de pétrole par an (mais il faut compter de cinq à six ans entre la commande et la mise en service). C'est là un des plus gigantesques efforts d'équipement jamais entrepris dans notre pays.

Toujours dans le domaine nucléaire, deux autres événements importants sont à noter : la mise en service réussie, le 23 décembre 1973, du réacteur surgénérateur Phénix, prototype d'une nouvelle génération de réacteurs, pour laquelle la recherche française est une des plus avancées au monde (un surgénérateur produit davantage de combustible nucléaire qu'il n'en consomme) ; et la décision, prise le 10 février 1974 par l'association Eurodif (France, Italie, Espagne, Belgique), de construire en France, près de Pierrelatte, une usine civile d'enrichissement de l'uranium, qui lèvera notre dépendance à l'égard des fournisseurs de l'uranium enrichi (États-Unis) qui est nécessaire à la génération présente des réacteurs.

Il reste que toutes ces perspectives reposent sur l'hypothèse que les besoins d'énergie vont continuer à se développer comme avant ; on néglige ainsi les effets restrictifs que pourraient avoir la hausse des prix sur la consommation, sans même parler des mesures prises en France et ailleurs pour inciter aux économies d'énergie (limitation de vitesse sur les routes, modération du chauffage domestique, etc.). C'est peut-être là le plus important gisement vierge d'énergie, auquel personne n'avait pensé : celle que nous nous abstiendrons volontairement de consommer. Si, comme le gouvernement l'a demandé, le taux d'augmentation pouvait être ramené de 5 % à 3 % par an, il en résulterait à terme des modifications considérables (les besoins mondiaux cumulés d'ici à l'an 2000, par exemple, tomberaient de 330 à 230 milliards de tep). Mais cela ne se fera pas sans un changement de nos habitudes, voire un tournant dans une civilisation habituée au gaspillage. Personne ne peut dire encore si la forte secousse imprimée aux prix de l'énergie suffira pour déclencher un mouvement de cette ampleur.

Gaspillages et dégradations

La crise de l'énergie a été le révélateur de certaines imperfections de nos sociétés et de la civilisation occidentale. La notion de gaspillage a surgi brusquement et a pris tout à coup des dimensions considérables. Mais, en fait, qu'en est-il exactement ? Qui gaspille ? Que gaspille-t-on et comment ? C'est à ces questions qu'Alfred Sauvy tente de répondre dans l'analyse qu'on lira ci-dessous.