Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

L'annonce d'un prix donné par l'Académie Goncourt, un mouvement de publicité comme il s'en dessine périodiquement ont favorisé l'éclosion de recueils de nouvelles. Marcel Schneider, avec Déjà la neige, est revenu à sa meilleure veine du fantastique traditionnel ; Noël Devaulx a cultivé, lui, on n'ose dire son fantastique, mais son étrangeté dans le quotidien, grâce à Avec vue sur la zone, et Daniel Boulanger dans Fouette, cocher ! a ajouté quelques types toujours fascinants à la population de ce monde qu'il construit, pierre par pierre, avec des récits de quelques pages. C'est un monde qui a son accent, ou, mieux, qui a sa faim obsédante, dévorante, tendue vers un monde autre ou vers un autre monde.

Amazones

Ce serait un mauvais procédé désormais à l'égard de nos amazones aux bas bleus que de réserver un paragraphe à la littérature féminine. Nous avons d'ailleurs cité nombre de femmes, à mesure que leurs noms nous venaient sous la plume. Il faut y ajouter celui d'Hélène Cixous, auteur notamment d'un Portrait du soleil. Grande universitaire, exégète de Joyce, H. Cixous a déjà publié de nombreux livres d'un vif intérêt mais d'une lecture ardue. Elle est profondément imprégnée par les sciences humaines, la psychanalyse, la linguistique, l'étude des mythes, la poétique moderne, et elle essaie de mettre toutes ces disciplines au service de sa quête intérieure. Elle y parvient à force de patience et de précision dans le choix des éléments évoqués et rapprochés, comme dans le choix des mots et le mouvement de la phrase, mais, les échafaudages supprimés, cela demande aussi au lecteur patience et application.

La réussite d'Hélène Cixous, qui ira sans doute en s'amplifiant de livre en livre, car l'écrivain semble à l'écoute de sources intérieures très riches, est peut-être exemplaire. Nous avons vu souvent, depuis dix ou vingt ans, des écrivains se piquer de nouveauté, et nous en avons vus déjà retomber au silence. Après la technologie du gadget du nouveau roman, nous avons vu des chapelles littéraires se construire ici ou là, à l'abri d'une doctrine ou d'une science. Par un curieux phénomène, ceux qui se sont enfermés dans ces chapelles n'en sont jamais sortis. Ce qui a manqué, c'est un courant ou un génie qui essaie de faire passer le mouvement accéléré du monde tel que notre philosophie peut le penser au plan de réalité intérieure où les œuvres littéraires prennent naissance. Le passéisme n'est pas une solution d'avenir ; mais un certain activisme hâtif et confus, qui voudrait tout accueillir sans avoir rien digéré, ne l'est pas davantage.

Poésie

Année sans surprise et sans révolution. Une tendance marquée à l'expectative chez les éditeurs, qui réduisent leur catalogue, dans le domaine poétique, à une portion de plus en plus congrue, laisse peser sur les auteurs une menace réelle.

À part Jean-Claude Renard, dont Le dieu de nuit s'est vu attribuer le prix Max-Jacob, et Guillevic, qui poursuit sa tranquille, patiente et obstinée recherche des mots capables de graver l'essentiel dans l'espace et l'instant, « le temps de posséder les choses / qu'on pourra retrouver plus tard / en relisant le texte » (Inclus), un voile semble tombé sur les écrivains majeurs.

La seule affirmation est celle d'Alain Bosquet, dont Notes pour un pluriel confirme la voie des deux derniers recueils, l'étrangeté s'y alliant à une méditation classique : « Des dieux passaient dans nos silences. / Une pierre, on eût dit, / voulait prononcer quelques mots. / Nous étions la parfaite mesure. »

Mesure qui est celle de Jean Rousselot, dont un petit livre de qualité, À qui parle de vie, nous fait singulièrement sentir la coupure des générations au niveau des préoccupations comme à celui du langage.

Trente et un au cube, de Jacques Roubaud, est au contraire un nouvel exemple d'invention maniaque après ses précédentes expérimentations. Comment écrire d'une manière qui n'ait pas encore été dévoyée ou galvaudée ? Les questions formelles paraissent avoir le pas, dans les essais de Roubaud, sur la nécessité d'un dire où, plus exactement sans doute, l'écriture tend ici à se justifier à mesure qu'elle s'invente.

Le prix Max-Jacob à Jean-Claude Renard

Jean-Claude Renard, qui prit un temps le pas de Péguy pour marcher sur la voie de hautes célébrations, y découvrit un surprenant chemin de Damas. Se dépouillant des sécurités catholiques, le poète reprit à la foi la force de s'interroger. Dans « la grande obscurité » tombée sur Abraham, le dieu de nuit est aussi dieu de lumière. Alors, « ne dépend-il que de moi d'aborder toute fin sans terreur ? », écrit le poète en excluant toute complaisance romantique, toute dramatisation justificatrice.