Que dit-il ?

– Il affirme en substance que les guerres en Afrique ne peuvent être gagnées sur le terrain, notamment en Guinée où la rébellion reçoit une aide extérieure considérable.

– Il démontre que pour un petit pays de 9 millions d'habitants comme le Portugal, dont les ressources sont minces, le poids de la guerre est insupportable.

– Il préconise une solution politique : il convient d'assurer une certaine autonomie aux territoires d'outre-mer en les plaçant sur un pied d'égalité avec le Portugal au sein d'une sorte de Commonwealth.

Ces idées simples, formulées par un chef prestigieux, rejoignent les préoccupations de l'armée, singulièrement celles du mouvement des capitaines. Mais elles ne coïncident pas avec l'opinion du gouvernement, qui, le 14 mars, limoge brutalement Spinola ainsi que le chef d'état-major de l'armée, Costa-Gomes.

Contrordre

Cette décision provoque l'indignation du corps des officiers et, le 15 au soir, 300 d'entre eux se réunissent dans les locaux de l'académie militaire. À l'aube de cette nuit, une compagnie du 5e régiment d'infanterie, basé à Caldas da Reinha, marche sur la capitale après avoir arrêté le commandant du régiment et son adjoint, qui refusent de se joindre à eux.

L'affaire échoue. La garde nationale arrête le convoi. Les officiers sont appréhendés et placés à la disposition de la justice.

Rapidement, on apprendra que la marche sur Lisbonne s'inscrivait dans une action plus générale, décommandée au dernier moment ; seule la garnison de Caldas n'avait pas reçu le contrordre...

Ce n'est que partie remise. Mais il convient d'agir vite, car le gouvernement prépare une vaste épuration de l'armée. Le 25 avril, le régime tombera comme un fruit mûr dans les mains des capitaines.

Liesse

Les jeunes officiers ont leur programme tout prêt. S'ils ont décidé de placer à leur tête le général de Spinola et une junte de généraux, ils se réservent l'initiative de la marche à suivre. D'abord, suppression de la police politique, la Pide-DGS ; ensuite, rétablissement de toutes les libertés ; retour des exilés politiques ; amnistie des insoumis ; mise sur pied d'un gouvernement provisoire. Les deux tâches essentielles de celui-ci consisteront à organiser des élections générales dans un délai d'un an, afin d'établir un régime démocratique, et à mettre fin à la guerre coloniale.

Tel est le programme des Forces armées que le général de Spinola (qui n'a pris aucune part à son élaboration) lira le 26 avril devant la presse.

Le peuple portugais a accueilli le coup d'État avec un soulagement évident et une joie qui éclatera au cours de la fête du 1er-Mai. Plusieurs centaines de milliers de personnes défileront dans les rues de Lisbonne, dans une profusion d'œillets rouges et de drapeaux nationaux, réservant un triomphe aux dirigeants politiques revenus d'exil, particulièrement au communiste Alvaro Cunhal et au socialiste Mario Soares.

Mais, tout au long de ces premiers jours de liesse, la faveur populaire ira surtout aux militaires qui, par leur action, ont rétabli la liberté.

Exil

La mise en place des nouvelles institutions sera conduite tambour battant par une junte consciente des dangers que présente une population sans bride, dans un pays privé d'encadrement. En effet, le président de la République Tomaz, le président du Conseil Caetano ont été exilés à Madère, avant d'être autorisés à gagner le Brésil ; la police a été démantelée, de nombreux responsables d'administrations limogés, sans compter les militaires hostiles au putsch qui ont été mis en disponibilité, parfois emprisonnés.

Dans le même temps, la proclamation du droit de grève a provoqué dans tout le pays un vaste mouvement de revendications qui paralyse l'économie. Tandis que, dans les rues, les manifestations gauchistes se multiplient, auxquelles participent de nombreux soldats et marins.

Il faut rétablir l'autorité. Dès le 15 mai, Spinola prend les fonctions de chef de l'État et, le lendemain, il forme son ministère, dont la présidence est confiée à un grand bourgeois libéral, Palma Carlos, peu suspect de sympathies révolutionnaires. Dans le cabinet, toutefois, on compte deux communistes, dont Alvaro Cunhal, ministre d'État, et plusieurs socialistes, dont Mario Soares, qui occupe, avec le portefeuille des Affaires étrangères, un poste clé.