Au fil des semaines la situation prend néanmoins un tour dramatique. Une certaine inquiétude diffuse commence à se répandre devant la longueur de l'épreuve de force. D'autant que les mineurs, à une majorité de 80 %, décident, le 9 février 1974, de durcir leur mouvement et de passer à la grève générale.

Élections

L'autorité du gouvernement semble de plus en plus contestée et l'immobilisme du Premier ministre ne peut plus longtemps constituer une arme. Certains membres du gouvernement penchent pour la conciliation. L'arrivée de William Whitelaw (l'homme du miracle irlandais) au ministère du Travail, à la faveur d'un mini-remaniement ministériel, fait croire un moment que c'est la voie que choisit finalement Edward Heath. Mais ni son style ni sa philosophie du pouvoir ne l'y conduisent. Le Premier ministre estime qu'entre le « chantage des syndicats » et l'autorité de l'État qu'il incarne l'électeur doit choisir. Profitant de la liberté du choix du moment que lui laisse la tradition constitutionnelle britannique, il décide, le 7 février, de dissoudre le Parlement et d'appeler le peuple britannique à se prononcer le 28.

Pendant les trois semaines de campagne électorale, il est vrai sans éclat, l'opinion se montre moins passionnée qu'on ne l'aurait cru devant l'importance apparente du débat.

Les grands leaders se battent d'ailleurs à fleurets mouchetés : Edward Heath assuré de son bon droit et de la victoire que lui promettent d'ailleurs tous les sondages, Harold Wilson manifestement embarrassé par les divisions internes de son parti et les pressions de ses extrémistes de gauche. Un coup de théâtre ajoute encore à la confusion. À quelques jours du scrutin, la Commission des salaires annonce que les statistiques ont « menti » et que les mineurs sont bel et bien fondés à réclamer une amélioration considérable de leurs salaires pour rattraper les autres catégories de travailleurs. Le tremplin de l'opération Heath apparaît soudain singulièrement vermoulu.

Les résultats du 28 février, décevants pour tous les hommes politiques, sont aussi le reflet d'une profonde déception de l'opinion devant les ambiguïtés du jeu politique :
– les travaillistes devancent, certes, les conservateurs, dont la gestion se trouve ainsi condamnée, mais au nombre de voix la différence entre les deux grands partis est presque nulle : (267 189 suffrages), soit 1,1 %. Les travaillistes emportent 5 sièges de plus que leurs adversaires, mais il manquera néanmoins 7 sièges à Harold Wilson pour constituer un gouvernement majoritaire. Les électeurs ont ainsi montré leur sévérité à l'égard des uns et leur méfiance à l'égard des autres ;
– les libéraux font une remarquable percée en recueillant plus de 6 millions de suffrages, mais celle-ci ne se reflète pas au Parlement, en raison même du système électoral qui favorise les Grands. Avec près de 20 % des voix (près de trois fois plus qu'en 1970), ils n'obtiennent que 2 % des sièges (14 contre 6 en 1970). La remontée de ce « parti oublié » dont, depuis la guerre, le groupe parlementaire « tenait dans un seul taxi », reste néanmoins un des phénomènes les plus intéressants de ce scrutin. Sans doute s'agit-il davantage des suffrages du mécontentement que de ceux de l'espoir et d'un parti-refuge plus que d'un véritable troisième parti. Mais la jeunesse de ses animateurs, les valeurs dont ils se réclament (au premier rang desquelles l'intelligence, le modernisme et la tolérance) en font tout autre chose qu'un poujadisme sans lendemain.
Il est assez frappant qu'au moment où la propagande anti-Marché commun a rencontré un terrain si favorable chez l'électeur, les libéraux aient pu rassembler tant de millions de voix sur un programme essentiellement pro-européen. Leurs plaidoyers en faveur d'une réforme de la loi électorale et du système parlementaire, dont nul n'ignore plus les faiblesses, même à Westminster, ont des échos à droite comme à gauche, et leurs revendications en faveur de la participation dans l'entreprise traduisent des aspirations assez larges. La renaissance du parti de Jeremy Thorpe, même si elle ne se traduit pas dans le jeu politique, montre au moins qu'une certaine pensée libérale reste effectivement vivante en Grande-Bretagne ;
– les partis nationalistes (écossais, gallois) sont en progrès, ce qui traduit non seulement la vitalité des courants autonomistes, mais aussi l'irritation générale devant les tendances centralisatrices de la Grande-Bretagne contemporaine, peu conformes à la tradition.