Hasard malheureux du jeu démocratique ou crise de structure ? Le parlementarisme britannique, assailli depuis des années par les difficultés financières et économiques, était-il à son tour un système bloqué ?

Le verdict populaire signifiait en tout cas que les conservateurs n'avaient pas réussi en quatre ans à remettre le navire à flot et que nul autre n'était, en apparence, en mesure de le faire aux yeux des électeurs.

Crise

L'hiver de la malchance a commencé très tôt pour Edward Heath. Le 15 octobre 1973, le Premier ministre présente la phase III de son plan anti-inflation (maintenant contrôle des salaires et des prix). Celui-ci est immédiatement rejeté par les syndicats. Quinze jours plus tard, la publication du chiffre du déficit commercial (près de 300 millions de livres pour le mois d'octobre, ce qui laisse craindre un déficit annuel de 3 milliards de livres) réduit à néant tous les espoirs de redressement tant affirmés par le gouvernement. Une véritable crise de confiance s'ouvre. Les cours s'effondrent à la Bourse, et la Banque d'Angleterre est contrainte de porter le taux d'escompte à 13 %.

Du côté syndical, la hausse vertigineuse des prix, et en particulier de celle des denrées alimentaires (+ 20 %), relance toutes les revendications de salaires. Les mineurs sont les premiers à passer à l'action ; le 14 novembre, ils déclenchent la grève des heures supplémentaires, ce qui entraîne immédiatement une baisse de plus de 30 % de la production du charbon. Pour parer à cette menace d'autant plus redoutable qu'elle intervient en pleine crise pétrolière, le gouvernement proclame l'état d'urgence. Les négociations entre la direction des charbonnages, obéissant aux consignes officielles, et les syndicats des mineurs, reprises, rompues et renouées plusieurs fois, ne parviennent jamais à combler l'écart entre le maximum autorisé par la lutte anti-inflation (13 %) et les revendications des mineurs (plus de 30 %).

Rapidement, le ralentissement de la production entraîne des restrictions. D'autant plus que les techniciens de l'électricité décident au même moment de cesser le travail eux aussi. Victimes de coupures de courant de plus en plus fréquentes, les Anglais ne savent plus s'ils doivent s'en prendre aux cheikhs du pétrole arabe ou, comme les appellent les humoristes anglais, aux cheikhs de l'électricité et du charbon.

Inquiétudes

Conscient du mécontentement qu'engendrent les grèves, soucieux de ne pas laisser s'ouvrir une brèche dans son programme anti-inflation, convaincu aussi qu'il est sans doute proche d'atteindre ses objectifs, Edward Heath accepte l'épreuve de force. Ses adversaires clament même qu'il la souhaite et qu'il en prépare soigneusement le terrain. En dénonçant d'abord le caractère politique du mouvement des mineurs, dont plusieurs leaders sont effectivement communistes. Mick McGahey, vice-président du syndicat, devient ainsi pour l'opinion Mick le Rouge, et le président Joe Gormley comme le secrétaire général Lawrence Daly des agitateurs plus que des leaders ouvriers. On attribue facilement la dureté du mouvement à la volonté d'attenter au système britannique, alors que l'on peut tout aussi bien prendre en compte pour l'expliquer les injustices nées de l'inflation et de l'enrichissement prodigieux de certaines catégories sociales. Après tout, 7 % des Britanniques ne détiennent-ils pas encore, en dépit de toutes les réformes de l'après-guerre, 84 % de la richesse nationale ?

Le gouvernement compte également sur l'indignation que peut susciter le défi égoïste des mineurs au moment où le pays affronte celui, autrement grave, des pays arabes. C'est négliger la sympathie dont bénéficient traditionnellement les gueules noires. C'est aussi, sans doute, rêver à des réflexes nationaux ou patriotiques aux résonances churchilliennes dont l'Angleterre n'a plus que le souvenir. Si quelque chose en subsiste, c'est seulement le flegme avec lequel des millions de Britanniques acceptent les coupures de courant, les magasins éclairés aux lampes à gaz, les coiffeurs sans séchoirs, les rues sans lumière, et même, à partir du mois de janvier, la semaine de trois jours de travail. Leur vie en paraît peu troublée, les achats de Noël battent tous les records, et la production, si elle est dans certains secteurs sérieusement perturbée, n'en reste pas moins à un niveau proche de 80 %. Le ciel vient même au secours des Anglais puisqu'un hiver particulièrement clément permet de s'accommoder d'un chauffage très limité.