Dans les premières heures qui ont suivi le coup de force, l'Arabie Saoudite apporte son plein soutien aux nouveaux dirigeants.

Nombre de signes indiquent que le coup d'État du 13 juin a de quoi satisfaire les conservateurs yéménites et leurs amis saoudiens. Cependant, la situation paraît évoluer rapidement dans une autre direction. Mohsen el-Ayni, ancien Premier ministre, de tendance baasiste, tenu en suspicion à Riyad, est rappelé le 16 juin de Londres, où il est ambassadeur, pour former le nouveau gouvernement.

Le colonel Messwari, de retour à Sanaa, est refoulé à l'aéroport pour être renvoyé au Caire, comme ambassadeur. La junte, initialement formée de sept personnes, est élargie pour comprendre dix officiers, dont plusieurs passent pour être de tendance de gauche. Le gouvernement que constitue Mohsen el-Ayni, le 21 juin, est tout autant divisé politiquement que le Conseil de commandement.

Rivalités

Les éléments prosaoudiens préparaient pourtant leur coup dès septembre, quand le chef de l'État, le cadi Iriani, avait inauguré la politique dite de rectification, dont le principal objectif était de consolider l'indépendance du pays face au grand voisin du Nord. Il cherchait à mettre au pas l'armée et les tribus, qui dépendaient directement de Riyad pour leur subsistance.

La lutte sourde qui mettait aux prises le cadi Iriani à son Premier ministre, le cadi Hijri, un ultraconservateur proche des dirigeants saoudiens, paraissait devoir se solder en faveur du chef de l'État. En juillet et en août 1973, ce dernier avait cédé aux exigences du chef du gouvernement (qui avait fait exécuter une trentaine d'opposants et de saboteurs) avant de se retirer, en guise de protestation, en Syrie. Cependant, le 29 août 1973, une délégation de personnalités de toutes tendances, dirigée par le colonel Hamadi, s'était rendue à Damas pour inciter le cadi Iriani à rentrer à Sanaa.

Ce dernier céda aux sollicitations, mais en posant ses conditions concernant la réforme des institutions. Le 11 février 1974, il révoquait le cadi Hijri (qui demeurait membre du Conseil républicain) pour nommer à sa place Hassan Makki, un technocrate sans coloration particulière, qui devait constituer le nouveau gouvernement le 3 mars. Les partisans du Premier ministre révoqué s'étaient d'autant plus inquiétés que l'on prêtait au chef de l'État l'intention de rappeler de Londres Mohsen el-Ayni pour lui confier la présidence du gouvernement.

Attentats

En avril, les éléments conservateurs dans l'armée et les tribus mettent au point une stratégie de terreur qui devait ouvrir la voie à leur coup d'État. Deux organisations contre-terroristes (Sabaa et l'Escadron de la mort) se livrent à des attentats en série dirigés non seulement contre l'opposition de gauche, clandestine, mais aussi contre des partisans du cadi Iriani. Les ambassades de France et de l'Union soviétique sont l'objet d'attentats, l'un à la bombe, l'autre au bazooka. Le 6 mai, mourait mystérieusement, d'une forte dose de poison, Abdel Kader Saïd, l'un des dirigeants du mouvement progressiste yéménite, hostile au régime saoudien.

Le nouveau régime de Sanaa est contraint d'entretenir de bonnes relations avec Riyad pour des raisons financières. En effet, le roi Fayçal couvre le déficit du budget de l'État yéménite (représentant environ 25 % des recettes) et autorise le rapatriement des salaires prélevés dans le royaume par près de un million de Yéménites émigrés, soit quelque 400 millions de francs l'an. La République arabe du Yémen reçoit une assistance de divers pays (notamment de l'URSS, des États-Unis, de la Chine, de l'État des Émirats arabes unis, du Koweït et de la Libye), mais l'état de sous-développement, la dégradation de la production agricole, la pauvreté des ressources mises en valeur contribuent à entretenir sa dépendance à l'égard du richissime voisin saoudien.

La situation pourrait se modifier si des gisements de pétrole devaient être découverts. Le 16 avril, le Parlement approuve le contrat conclu en janvier avec la Shell Company, laquelle reçoit en concession la zone du plateau continental nord-yéménite pour une durée de dix ans, renouvelable.