Les pays producteurs, pour leur part, font d'une pierre deux coups : non seulement ils s'arrogent un avantage économique considérablement supérieur à ce qu'ils avaient obtenu en trois ans de négociations, mais ils jettent dans la balance de la guerre, pour la première fois, tout le poids politique de l'arme du pétrole.

Chez les pays consommateurs apparaît aussitôt sinon la panique, du moins une très vive inquiétude. Par rapport aux besoins réels, propulsés par une forte expansion, la pénurie prévisible est d'entrée de jeu plus grave que les 5 % annoncés. Il est vrai que les effets ne s'en feront pas sentir immédiatement : chaque pays dispose de stocks (de un à trois mois de consommation) sur son territoire, plus le stock mobile que représentent les bateaux en route (quarante-cinq jours de navigation entre le golfe Persique et l'Europe).

Les États-Unis, pour leur part, dépendent encore assez peu du pétrole importé ; mais ils se trouvent déjà, pour d'autres raisons, dans une situation de pénurie. De tous, le plus touché paraît devoir être le Japon, qui ne dispose que de très peu d'énergie sur son territoire. Certes, il reste la possibilité de pousser la production dans les autres régions du monde ; mais, dans l'incertitude de la façon dont les choses vont tourner par la suite, la plupart des pays se résolvent cependant à des mesures, à vrai dire plus symboliques qu'efficaces, destinées à comprimer la consommation (limitation de vitesse sur les routes, interdiction de circuler le dimanche, abaissement de la température de chauffage des immeubles, réduction de l'éclairage public, etc.) et à assurer en tout état de cause à l'industrie l'énergie indispensable pour ne pas porter atteinte à l'emploi.

Accords

La position de la France, dans cette conjoncture, apparaît vite assez particulière. À l'inverse des autres pays, et notamment de ses partenaires du Marché commun, le gouvernement, tirant argument de sa politique de stockage plus prévoyante et de ses bonnes relations avec les pays arabes, croit pouvoir éviter aux Français toute restriction imposée.

L'occasion lui paraît bonne, en outre, d'accentuer la mise au pas des grandes compagnies pétrolières (la plupart américaines), objectif permanent de sa politique de l'énergie. Le 19 décembre 1973, un poste de délégué général à l'Énergie, relevant directement du Premier ministre, est créé à cet effet et attribué à un haut fonctionnaire spécialiste des questions d'armement et d'énergie, Jean Blancard.

Le premier aspect de cette politique consiste dans la recherche, par-dessus la tête des compagnies, d'accords directs d'État à État pour la fourniture de pétrole en échange de matériel industriel ou militaire français. Un premier accord, important mais à vrai dire assez vague, est négocié par le ministre des Affaires étrangères Michel Jobert avec l'Arabie Saoudite le 27 janvier 1974.

Très vite, d'ailleurs, les pays arabes ont fait connaître que la France serait considérée comme un pays « ami », et ne subirait pas, par conséquent, les restrictions décidées à Koweït. Or, les compagnies pétrolières (pouvaient-elles faire autrement ?) s'efforcent au contraire de répartir également les sacrifices entre tous les pays clients, et notamment d'assurer le ravitaillement des Pays-Bas, punis par les Arabes. Il en résulte (deuxième conséquence) des tensions momentanées assez vives entre le gouvernement français et les compagnies, d'une part, et ses partenaires de la Communauté européenne, de l'autre.

Le désordre, cependant, s'installe rapidement sur le marché du pétrole. Réelle ou simplement redoutée, la pénurie pousse à tous les excès. Le chah d'Iran annonce tranquillement que les prix pourront être multipliés par dix. De fait, les pays producteurs, en les mettant aux enchères, obtiennent pour les tonnages (relativement faibles) dont ils ont la libre disposition des prix astronomiques.

Aux États-Unis, le président Nixon lance, le 25 novembre 1973, un énorme programme de recherche, doté de 20 milliards de dollars, et visant à rendre au pays son indépendance énergétique ; les objections des partisans de l'environnement contre le pipe-line de l'Alaska, les centrales atomiques, l'exploitation des schistes bitumineux, etc. sont balayées. En France, le ministre de l'Industrie de l'époque, Jean Charbonnel, annonce, début décembre, l'accélération du programme nucléaire.