La junte présente une nouvelle justification de son intervention. L'armée aurait découvert les plans d'un complot visant à assassiner ses chefs, de nombreuses personnalités de droite, et à supprimer « 50 000 Chiliens ». Pour prouver leurs allégations, les militaires exposent des milliers et des milliers d'armes saisies.

Inquiétudes

La répression, au fil des semaines, devient plus discrète, mais aussi plus efficace. Luis Corvalan, secrétaire général du parti communiste, est arrêté le 28 septembre. Les interventions, en sa faveur, d'intellectuels, d'hommes politiques ou de gouvernements affluent du monde entier. L'inquiétude des milieux libéraux s'accroît lorsqu'on apprend en mars la mort en détention du général d'aviation Alfredo Bachelet, ancien directeur du Secrétariat national à la distribution, décédé d'une « crise cardiaque » alors qu'il devait passer en conseil de guerre pour « incitation à la rébellion », puis de José Toha, ancien ministre de l'Intérieur, qui se serait suicidé. Pour Carlos Altamirano, nulle doute possible, Toha a été assassiné.

Une partie des membres de la Démocratie chrétienne avait unanimement applaudi au coup de force de la junte en espérant qu'elle lui confierait le pouvoir. Certains ne tardent pas à condamner l'excès de violence de la répression. « Ce n'est pas ce que nous avions voulu », disent-ils. Ils finissent par s'apercevoir que les généraux, en fin de compte, sont de moins en moins disposés à leur abandonner le pouvoir, et que les militaires éprouvent un énorme dédain à l'égard des politiciens, quels qu'ils soient.

Le 21 septembre, les formations politiques ayant appartenu à l'Unité populaire sont mises hors la loi. Fin septembre, tous les partis politiques sont suspendus. Le parti démocrate-chrétien envisage de passer dans l'opposition, voire dans la clandestinité.

Le général Pinochet (il devient, le 26 juin 1974, Chef suprême de la nation) déclare en octobre que l'état de siège restera en vigueur pendant au moins huit mois. Il durcit le ton en novembre : « Nous devons étendre notre condamnation non seulement au gouvernement marxiste destitué, mais également à tous ceux qui l'ont précédé et qui ont créé les conditions permettant sa constitution. »

En mars 1974, la junte annonce qu'elle gardera le pouvoir pendant un temps indéterminé. La loi fondamentale de 1833 est abolie ; une constitution corporative donnant un rôle accru aux forces armées est en préparation. Le 19 février, le général Pinochet déclare qu'il n'y aura pas d'élections avant au moins cinq ans.

Le 8 octobre, à l'ONU, l'amiral Ismaël Huerta, ministre des Affaires étrangères, prend la parole pour justifier le coup d'État ; il est vigoureusement pris à partie par les délégués de nombreux pays, celui de Cuba notamment. Pourtant le putsch semble n'avoir pas été trop mal accueilli par la plupart des gouvernements d'Amérique, du Nord comme du Sud. Selon le Washington Post, la Maison-Blanche aurait été informée à l'avance de la tentative des militaires chiliens.

Économie

Les États-Unis accordent à la junte le rétablissement des crédits, ce qu'ils avaient refusé au régime Allende. En février, un rapide bilan permet d'établir que le gouvernement Pinochet a reçu près de 300 millions de dollars du Fonds monétaire international (FMI), 62 millions du Brésil, 30 millions de la Banque interaméricaine de développement, 24 millions des États-Unis, 13 millions de la Banque mondiale.

Sans remettre en cause la nationalisation des mines de cuivre, les généraux chiliens proposent l'ouverture immédiate de pourparlers en vue d'indemniser les compagnies américaines. Sur le plan intérieur, ils restituent les entreprises industrielles et les exploitations agricoles qui avaient été nationalisées.

La junte hérite d'une situation économique catastrophique, qui ne fait qu'empirer. D'octobre 1972 à octobre 1973, la hausse du coût de la vie a été supérieure à 528 %. Pour le seul mois d'octobre 1973, elle est de 87,6 %. Les exportations (600 millions de dollars) n'ont pas couvert la moitié des importations (1 500 millions de dollars). La dette extérieure est passée à 3 454 millions de dollars, soit 822 de plus qu'en 1970, tandis que les réserves monétaires ont fondu jusqu'à 50 millions de dollars.