Et, le 11 mars, le ton du nouveau message impérial est encore plus inhabituel pour un peuple gouverné par un souverain de tout temps considéré comme étant de droit divin : « les demandes et les désirs de notre peuple dicteront à l'avenir l'attitude du monarque en Éthiopie ».

Simultanément la censure est abolie, et la presse profite sans retenue d'une liberté d'expression à l'écart de laquelle elle avait toujours été tenue.

Cependant le pouvoir central, qui donne aux contestataires le sentiment de céder à leurs exigences, ne fait en réalité que jeter adroitement du lest et s'attache à laisser pourrir lentement la situation. Le 8 mars, l'amiral Iskander Desta quitte Djibouti pour regagner Addis-Abeba, et les autorités reprennent, en douceur, le contrôle de la situation.

Certes, le bas clergé exprime ses rancœurs à l'égard de la hiérarchie. Des femmes (c'est la première fois dans l'histoire de l'Éthiopie) parcourent en cortège les rues d'Addis-Abeba et réclament l'égalité des droits avec les hommes.

Mais, devant les divisions des syndicats et la lassitude des travailleurs, le mouvement de grève s'effrite. Les cours reprennent dans les établissements scolaires. La révolution a fait long feu, et petit à petit le pays glisse vers un désordre qui n'était en principe prévisible qu'après la mort de l'empereur.

L'unité de l'armée est brisée. Des militaires exigent le jugement des responsables du génocide causé par la famine. D'autres s'opposent à l'arrestation de certains officiers contestataires. Les anciens dignitaires du régime doivent se réfugier au palais impérial pour échapper à la vindicte populaire, et le roi des rois est contraint de créer une commission d'enquête qui va examiner la gestion des anciens ministres, accusés de corruption et de malversations.

Mutineries

Dans la nuit du 24 au 25 mars, les aviateurs de la base de Debre-Zeit s'apprêtent, à leur tour, à tenter un coup de main contre la capitale. Les troupes loyalistes les en empêchent, donnant l'impression qu'au sein de l'armée les officiers conservateurs ou modérés l'emportent sur les extrémistes et les progressistes.

Au début du mois d'avril, les uns et les autres concluent même un accord formel, et les parachutistes consentent à mettre fin au blocus de la base aérienne de Debre-Zeit. La trêve est de courte durée, car, peu de temps après, mutineries et manifestations vont reprendre.

Le 7 avril, des mutins s'emparent de la ville de Harrar, où se trouve la plus importante académie militaire d'Éthiopie. Puis c'est la troisième division d'infanterie, stationnée à Didjiga (500 kilomètres à l'est d'Addis-Abeba) et chargée de veiller sur la frontière avec la république de Somalie, qui se rebelle. Enfin, le 26 avril, l'armée procède, à Addis-Abeba même, à l'arrestation de plusieurs anciens ministres, dont Aklilou Habte-Wold.

Tour à tour ou simultanément, les cheminots, les employés des services municipaux, les étudiants, les membres de la communauté musulmane, les agents des services des télécommunications, les conducteurs d'autobus descendent dans les rues de la capitale pour y manifester.

À plusieurs reprises, la police ouvre le feu et tue des contestataires. En province, la situation est encore moins bonne, que ce soit en Érythrée, où les rebelles profitent de la confusion pour intensifier leurs opérations de guérilla, ou ailleurs dans le pays, où les agriculteurs sans terre veulent contraindre leurs propriétaires à céder à leurs exigences.

Succession

Recevant en audience 700 dignitaires du royaume, l'énigmatique empereur annonce, le 14 avril, que le prince Zera Yacob, son petit-fils, serait son successeur sur le trône de la dynastie salduonienne. Par ce geste, le vieux souverain, qui est entré dans sa quatre-vingt-deuxième année, espère mettre un terme aux spéculations engagées autour de sa succession.

Âgé de vingt-deux ans, le prince Zera Yacob est peu connu et sa désignation ne suffit pas à apaiser les tensions. Pourtant, il serait abusif de parler de désarroi de l'empereur. Celui-ci reste, au contraire, l'arbitre de la situation et c'est sans risque qu'il s'absente en juin pour aller assister à la onzième conférence des chefs d'État membres de l'OUA, à Mogadiscio.