Enfin, l'autoroute A2, Paris–Bruxelles, par Cambrai et Valenciennes, est inaugurée conjointement par le roi Baudoin de Belgique et le président Pompidou, le 19 décembre 1972. Avec un dense quadrillage des voies de communication, la partie, pour le Nord, est quasiment gagnée.

Le charbon se fait rare : on rogne chaque veine jusqu'à l'os, et on ne maintient même plus le niveau de production programmé. Mais sur la ceinture minière, la greffe de l'automobile a réussi. À Ruitz, près de Bruay, où l'on sort, depuis mars 1973, 100 boîtes de vitesses R 16 par jour ; Renault-Peugeot à Douvrin-La Bassée, où l'on fabrique vilebrequins, segments et le moteur de la 104. Renault à Douai, la quincaillerie de la Régie, où l'on produit une multitude de petites pièces pour toutes les usines du groupe, mais qui sortira plus tard ses 1 000 voitures par jour. Chrysler à Valenciennes, Chausson à Maubeuge... 8 000 emplois pour l'automobile, fin mars, et 20 000 promis dans les trois ans.

L'exode rural continue. Un Livre vert Nord–Pas-de-Calais explique que l'on compte bien le canaliser. L'agriculture occupait, en 1970, 100 000 personnes. Le Livre vert en prévoit 48 000 à 60 000 en 1985. Ainsi pourrait se créer une agriculture moderne, économiquement efficace, rentable pour les hommes, tandis que les départs échelonnés ne viendraient pas excessivement peser sur le marché de l'emploi. De ce côté, le Nord sait donc, en 1973, où il veut aller.

La métropole Lille–Roubaix–Tourcoing tâtonne encore. Mais forcer à vivre ensemble un million de personnes, 87 communes qui, visiblement, n'y tenaient guère, ne semblait-il pas d'abord une gageure ? Certes, à Roubaix–Tourcoing, on peut légitimement regretter peut-être que l'expansion communautaire profite surtout au pôle lillois.

Reste Dunkerque. La mer a appelé l'industrie. Et l'industrie, désormais, y dévore tout. En 1975, le nouvel avant-port accueillera des navires de 300 000 t ; Usinor à lui seul représentera deux fois Fos-sur-Mer. En 1973, son haut fourneau de 104 m, le plus grand du monde, a été mis en marche. Dunkerque de l'an 2000, enfin, sera devenu une véritable Ruhr-sur-Mer. Calais–Dunkerque, un seul port, un seul monstre.

Le Nord, par l'industrialisation galopante, par l'aménagement de son territoire, change de siècle, et épouse l'Europe. Plus ou moins conscients, les gens du Nord en ont le vertige.

L'industrie dévore tout, la terre, le sable, la mer. Et finalement les hommes aussi. Des emplois sont créés, mais le reste ? On construit : 1 500 logements par an. Il en faudrait 5 000 ! Alors, à Grande-Synthe, Gravelines, Mardyck, d'interminables parcs de caravanes se forment. Les écoles, les transports, l'animation des quartiers manquent. À chaque printemps, les vents du nord-est couchent toutes les fumées sur la cité des Nouvelles-Synthes.

La crainte du chômage ne disparaît pas partout. Les points noirs : Valenciennes, Denain, Douai, Maubeuge. Et, dans les autres secteurs, on n'a pas oublié 1968 pour faire la fine bouche. Le vertige de cette industrialisation est plus pressenti que véritablement perçu. Sauf, peut-être, chez les jeunes. L'Assedic a enquêté, en août 1972, auprès des jeunes de Roubaix–Tourcoing : 44 % ont exprimé le souhait de partir. Pourquoi ? 48 % ont du mal à l'expliquer : « L'environnement, l'ambiance, le climat, tout ça... » ; 28 % parce qu'ils ont l'impression que les débouchés sont insuffisants. Et 2 % seulement « à cause des bas salaires ».

Cette fameuse question de la qualité de la vie, les politiques du Nord y viennent doucement. Au moins dans leurs discours. Pierre Mauroy, rapporteur du dossier Économie au conseil général du Nord, s'y est attardé plus que d'ordinaire lors de son intervention à la session de printemps. « Il n'est sans doute plus possible que les sociétés occidentales continuent à croître longtemps en sacrifiant la qualité du travail, de la vie, à l'accumulation des biens. »

Picardie

Des implantations insuffisantes par rapport aux besoins

Le nouveau régime des aides au développement régional (début 1972) classe parmi les zones sensibles les cantons de Saint-Quentin et de Laon. Pour la Picardie, longtemps considérée comme une province favorisée parce que proche de la région parisienne, cela signifie que des primes, pouvant atteindre 12 % du montant de l'investissement, et diverses autres aides financières substantielles pourraient être versées aux entreprises qui s'installeraient ou développeraient l'emploi dans ces localités. Moins favorable, il est vrai, que celui qui a été accordé à la Bretagne ou aux bassins houillers en reconversion, ce régime de faveur est valable pour dix-huit mois à partir du 1er janvier 1972.