La première partie débute le mardi 11 juillet, soit avec neuf jours de retard. L'échiquier, en marbre de Carrare, conçu spécialement pour cette rencontre, se trouve sur la table située au milieu de l'estrade du vaste Exhibition Hall devant 3 000 spectateurs silencieux.

Forfait

Spassky avance son pion-dame, mais Fischer n'est pas là. Sept minutes plus tard il fait son apparition. Un tonnerre d'applaudissements éclate lorsque le champion du monde se lève pour serrer la main de son challenger.

La partie se déroule selon la stratégie classique. Bientôt des échanges de pièces ont lieu, qui simplifient le schéma de combat. Cette première rencontre du match du siècle n'a rien d'enthousiasmant. Très correctement traitée, elle s'achemine vers une position absolument égale où toute possibilité de forcer la victoire est exclue. Au 29e coup, Fischer rompt la monotonie en offrant une pièce et... perd.

Le jeudi 13, fait unique dans l'histoire des championnats, Fischer ne se présente pas. Il refuse de jouer la 2e partie si l'on ne retire pas du hall les caméras de la Chester Fox, qui le gênent. N'obtenant pas satisfaction, il perd par forfait. Spassky mène par 2-0.

Dans un match de cette envergure, les premiers résultats ont souvent valeur de test. Fischer va-t-il abandonner ? Cette éventualité paraît cependant exclue à la suite d'une semonce téléphonique de Kissinger.

Protestations

Le dimanche 16, l'Américain n'accepte de jouer que dans une petite salle, loin des caméras et du bruit. Ses amis Marshall et Lombardy obtiennent in extremis cette provisoire concession.

La 3e partie, une des plus intéressantes, donne à Fischer l'occasion d'exécuter au 11e coup une manœuvre insolite qui se révèle très ingénieuse. Il obtient l'initiative, crée une pression qui augmente progressivement et gagne. C'est sa première victoire contre Spassky de toute sa carrière. Le score : 2-1 en faveur du champion.

Une nouvelle difficulté surgit à la veille de la quatrième partie ; le camp soviétique ayant réclamé le grand hall et obtenu satisfaction en vertu du règlement, Fischer menace de partir si les caméras restent. Protestation de la Chester Fox et du comité des responsables. Un moment, la crainte de voir le match cassé domine tous les esprits. On frôle le désastre financier et on redoute les réactions des spectateurs. On souligne même que le départ de Fischer pourrait provoquer un mouvement des Islandais pour forcer les Américains à abandonner leur base de Keflavik.

Une lettre personnelle de Nixon fait changer la décision du challenger. Celui-ci accepte de jouer après la mesure prise pour éloigner les appareils.

La 4e partie (mardi 18) montre un Spassky agressif. Son jeu domine celui de son adversaire, qui doit faire face à de réelles difficultés. Le champion du monde semble avoir retrouvé sa forme, mais, surpris par une défense opiniâtre, rate la meilleure occasion d'augmenter ses chances de gain au 25e coup, regroupe ses forces en vue d'un assaut final, puis, bousculé par le temps, il omet au 29e coup la seule manœuvre gagnante. Les répliques précises de Fischer amènent la nullité. Score ; Spassky 2,5 – Fischer 1,5.

La 5e partie (jeudi 20) apparaît comme capitale. Le laborieux effort du champion du monde se heurte à une défense extrêmement précise du challenger, qui sait exploiter avec esprit une faute commise par son rival en sérieuse crise de temps. Le score est cette fois : 2,5-2,5.

Déroute

La 6e partie (dimanche 23) surprend par le choix de l'ouverture. Pour la première fois, Fischer, ayant les blancs, pratique le gambit de la dame, qui fait précisément partie du répertoire préféré de Spassky. Cela n'empêche pas de constater une meilleure préparation théorique du challenger. Ses attaques d'allure classique, menées d'une façon magistrale, percent la ligne de protection du camp ennemi et lui procurent une nouvelle victoire éclatante et déjà moralement décisive. Score : Fischer 3,5-Spassky 2,5.

Spassky est en déroute. Impressionné par les conceptions et la technique de Fischer, le champion du monde paraît déprimé. On lui promet de faire venir sa femme Clarissa, afin de le réconforter. Un fauteuil tournant semblable à celui de Fischer lui est envoyé de New York.