Échecs

La couronne de l'empire blanc-noir change de continent

Un événement domine, et de loin, toute l'année 1972 : le championnat du monde individuel, disputé à Reykjavik (Islande), du 2 juillet au 2 septembre, entre le tenant du titre Boris Spassky (URSS) et Robert Fischer (USA).

Boris Spassky, né le 30 janvier 1937 à Leningrad, commence à jouer aux échecs à neuf ans (guidé par le grand maître international Tolousch). Il devient champion scolaire à douze ans, maître international à seize ans. Il remporte en 1955, à Anvers, le titre de champion du monde junior et obtient peu après, au tournoi interzones de Göteborg, le titre de grand maître international. Après une période consacrée aux études de journalisme, il se remet à jouer. Champion de l'URSS en 1961, il remporte en 1965 l'épreuve des Candidats, devient challenger de Petrossian, qu'il rencontre en 1966, mais ne peut battre. Spassky reprend le chemin des Épreuves, remporte une nouvelle fois les Candidats et devient champion du monde à trente-deux ans en battant, en 1969, Petrossian sur le score de 12,5-10,5.

Boris Spassky, qui est marié et a deux enfants, a pris parti sur le plan politique contre l'intervention de son pays en Tchécoslovaquie.

Robert Fischer est né le 9 mars 1943, à Brooklyn, d'une mère qui, voyageant beaucoup, n'a pu s'occuper de son éducation, et d'un père qu'il n'a pas connu. À cinq ans, sa soeur lui montre la marche des pièces. Le reste, il l'apprend en regardant dans les parcs où l'on joue sur des bancs de ciment. À neuf ans, il se lance dans la compétition. À treize ans, il remporte le championnat junior des USA et les championnats open de New Jersey et des USA. À quatorze ans, il devient champion national des USA, titre qu'il garde huit années de suite. Sa participation au tournoi interzones de 1958 lui vaut, à quinze ans, le titre de grand maître international, consécration unique dans l'histoire des échecs. Il se comporte très honorablement dans les Candidats de 1959 et 1962, et finit par gagner cette épreuve en 1971 en écrasant littéralement ses redoutables rivaux : Taymanov (6-0), Larsen (6-0) et Petrossian (6,5-2,5), ce qui lui ouvre les portes de Reykjavik.

Rebondissements

Le match pour le titre était devenu depuis 1948 une institution soviétique, se déroulant toujours à Moscou, selon le même cérémonial. Malgré leur haut niveau, ces joutes ne suscitaient qu'un médiocre intérêt des foules au-delà des frontières de l'URSS. La qualification officielle de Robert Fischer créa une situation toute nouvelle et donna à cet affrontement l'allure des grandes rivalités.

De multiples incidents et rebondissements vont émailler la préparation de ce match et compromettre un moment son déroulement. Situé d'ordinaire au printemps, il va être repoussé à cause d'interminables pourparlers sur le choix d'une ville ; Spassky préfère celles du nord, au climat semblable à celui de Leningrad ; Fischer, indifférent au lieu, tient à jouer dans les capitales les plus offrantes. Aucune entente n'ayant pu s'établir, le Dr Euwe, président de la FIDE (Fédération internationale des échecs), tranche finalement pour Reykjavik (qui offre 125 000 dollars). La date est fixée au 2 juillet. Fischer s'y oppose. Mais devant l'ultimatum du Dr Euwe, il accepte finalement.

Confusion

À la cérémonie d'ouverture, Fischer est absent. Il réclame pour lui et pour Spassky 30 % de la recette. Une fois de plus le match semble remis en question. Au milieu d'une confusion qui tourne au drame, un double miracle se produit : le président Euwe, appuyé par l'arbitre Lothar Schmid, prend la décision peu réglementaire de repousser le match de deux jours, et le financier Jim Slater double la somme proposée par Reykjavik.

Fischer arrive le 4 juillet à 12 heures, peu avant la date limite. Une foule en délire l'attend à l'aéroport.

Nouveau rebondissement. À son tour Spassky exige des excuses pour cause de violation du règlement et irrespect à l'égard du champion en titre. Fischer, à l'étonnement général, lui adresse une lettre d'excuses. Et, le 9 juillet, les deux vedettes sont face à face ; ils assistent au tirage au sort, qui attribue à Spassky le trait.